Je ne sais pas si ça va être constructif après deux Irish coffee (décaféiné je vous rassure)... déjà j'ai commencé ma critique en parlant d'Arvo Part, ma copine m'a corrigé alors, en me rappelant que c'était Hugo Pratt... ça commençait mal.


J'ai lu cette seule BD de Corto Maltesse voilà probablement 10 ans maintenant, et (c'est peu bizarre j'imagine) j'en garde un souvenir génial. Alors quand quelqu'un m'a parlé de son trait cet après-midi (celui d'Hugo Pratt). Bah j'étais grave d'accord. Et j'avoue ne pas être sûr si c'était par souci d'imitation nécessaire au dialogue entre deux individus, ou si c'était lié à mon expérience de lecture lointaine, qui correspondait malgré les affres du temps à ce que l'on me disait.


On parlait de la liberté dans l'art. Du rapport entre maîtrise et talent. De la maîtrise d'un style (graphique, littéraire...). Le trait d'Hugo Pratt, me disait la personne, témoigne d'une maîtrise,(maitrise du trait bien sûr). Celle qui lui permet de s'affranchir de la répétition, de s'affranchir d'une identité borné, qui par ses limites permettrait de ne pas trop se foirer. On se disait que la maîtrise, c'est peut-être la capacité de se dépasser, pour proposer sans se foirer. Justement (avec justesse j'entends). Pour donner toujours un peu plus. Si possible. (Si vous commencez à voir un rapprochement avec le personnage Corto Maltese, c'est que le souvenir que j'en ai n'est pas trop foireux)


La grande question c'était : en quoi consiste cette maîtrise ? Est-elle technique acquise par le travail acharné, ou technique innée qui ne se laisse pas figer par productivisme? (Un peu orientée la question...)


Intuition ou Technique, avec le grand T de Terminus? (Voilà qui est pirement orienté)


Personnellement j'ai toujours fini par foirer ce qui était intuitif chez moi. Parce que l'intuition, j'avais l'intuition que ce n'était pas acquis. Justement. Forcément. Par définition. L'intuitif acquis devient forcément technique. Et je ne m'en suis jamais senti capable de cette technique, je crois que je ne fais pas assez confiance à ma mémoire. Et pourtant je me reposais à fond sur cette mémoire (et mes notes), par sécurité je crois. C'est ce qui m'avait toujours fait foirer mes exposés, la peur de ne pas pouvoir rendre avec méthode toutes les pensées qui en amont avaient germé intuitivement. L'envie de fixer l'intuition en pure technique.


Donc ce que mon intuition pas trop dégueux a toujours fini par m'offrir, ça a toujours échappé à mon contrôle. Et moi je perdais mes moyens innés, par volonté totalitaire de reproduire avec gravité ses effets passés. Le problème n'était pas l'échappée, mais le contrôle. C'est comme cela qu'on s'enferme dans un style je crois, qui nuit à la surprise en bridant l'inné, pour s'assurer de bien produire.


(Et trouverai-je, pourquoi pas, ma technique transigeante au large du contrôle, dans un jeu acharné? La question semble réthorique. C'est le whisky)


Alors tout ça je ne suis pas tout à fait sûr que ça parle aux amateurs du trait de Hugo Pratt, mais je crois, tout de même, que c'est à peu près ce que mon amie voulait me dire (elle était amatrice elle, moi je ne suis qu'un vieux témoin, quoi que jeune en âge. Et en nage, pour le coup). Mais j'étais d'accord, donc autant en parler. Enfin autant laisser l'autre en parler, parce que j'en parlerai mal (j'en suis resté aux personnages filiformes moi, les miens).


Hugo Pratt, qu'elle m'a dit, utilise beaucoup de traits différents. C'est très large, très varié. Elle m'a parlé de lexique graphique, de vocabulaire même. Il fait des choix dans son dessin, qui surprennent si on regarde bien, mais qui marchent tellement. Elle m'a montré des planches, pour me rafraîchir, et j'en conviens. La fumée vois-tu, m'a-t-elle dit, est très schématique. Le souci du détail n'est pas lié à la distance, mais à ce que l'on décide de détailler.


https://www.bedetheque.com/media/Planches/PlancheA_204499.jpg


Là-dedans (là c'est moi qui parle) je découvre qu'il y a du Bastien Vivès (de manière plus implicite chez Prat peut-être, forcément), mon auteur de B.D. préférée (ça y est, j'ai fait mon coming out... ouf...). Le détail qui disparaît, ou qui s'impose en masse ; un visage de près sans organes, c'est comme un visage de près excessivement détaillés... comme un T-shirt noir avec des blancs comme des reliefs, ça ils le font tous les deux... c'est un choix qui ne s'explique pas mais qui marche, ou pas ; mais quand ça marche ça fait plaisir ; et quand ça s'étend sur une œuvre c'est le vertige. Une œuvre pleine de choix intuitifs (sélectionnés probablement... ça reste une œuvre... c'est pas construit la bite à l'air, faut pas déconner), mais qui se permet dans son unité des dérives permanentes (bon là on dirait une phrase de Macron donc je m'arrête).


Une conclusion quand même, parce que le souvenir que j'ai de ce capitaine (il est capitaine ?...) c'est qu'il se laisse un peu aller comme ça à la dérive, confiant dans son intuition. La différence avec l'autre cité un peu plus haut, c'est qu'il ne s'impose pas de missions de sauvetage à large échelle. Lui il est bien avec son cocktail sur sa plage... c'est les missions qui, intempestives, lui tombent dessus. Par la force de ses forces en sourdine.


https://osajohnson.files.wordpress.com/2015/11/corto004.jpg

Vernon79
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le 5 janv. 2018

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