En 1991, le manga commence tout juste à exister au sein du marché français, merci Akira, et Suehiro Maruo est l’un des rares artistes à être présenté au public français. Et pas n’importe qui, par le grand Moebius dans la revue (À suivre) : « Maruo est l’incandescence totale de la colère sexuelle, de la volonté destructrice, de l’appel au secours permanent d’un enfant torturé, dans un regard plein de compassion mais en même temps aveuglé par une rage terrible ».
Suehiro Maruo est l’un des plus grands représentants de l’Ero Guru, que vous devriez éviter de googler à votre lieu de travail ou pendant le repas dominical familial. Ce genre artistique s'amuse de l’horreur la plus crue en l’érotisant, le macabre devient troublant, le malsain fascine. Si ses illustrations sont magnifiques, il s’est surtout fait connaître grâce à certains récits dessinés aux ambiguïtés lourdes.
L’Enfer en bouteille a été publié par Casterman en 2014, regroupant 4 histoires courtes du maître publiées au début des années 2010.
Sans faire preuve d’une esthétique morbide trop manifeste, l’horreur se niche pourtant dans ces histoires sombres, où les personnages sont malmenés par un Dieu-créateur qui est sans pitié. D’une histoire à l’autre, il y est question de troubles adolescents et incestueux qui causeront leur perte à des enfants naufragés, de la relecture de la tentation de Saint-Antoine où la foi est mise à mal, de personnages vénaux où l’argent se paie dans la mort et où le dernier segment voit une sœur se prostituer pour qu'elle et son frère difforme survivent
Les caractères humains peuvent être les responsables de la chute des protagonistes, quand ce n’est pas un environnement misérable qui détermine bien des exactions. L’innocence est parfois présente, mais se révèle bien fragile, démontrant qu’on ne peut pas lutter contre des sentiments trop forts ou des proches aux intentions bien basses.
Les environnements sont souvent urbains et sales, dans la misère la plus douloureuse, mais le récit s’ouvre avec l’histoire éponyme du recueil, adaptant une nouvelle de Kyûsaku Yûmeno, où le cadre paradisiaque et idyllique est bien sûr trompeur. Le sens de détail de Maruo s’emploie à en graver toutes les beautés, tandis que les formes des adolescents les troublent. C’est d’ailleurs le passage où l’auteur utilise un sens du symbolisme bien plus prononcé, tordant ses personnages dans des compositions audacieuses, démontrant tout le soin utilisé pour ne pas faire honte à la nouvelle. Qu’importe que le récit porte en lui une certaine contradiction pointée par l’auteur, c’est la souffrance et la pénitence de ces deux jeunes créatures qui captive le regard.
Sans céder à un démonstration trop violente de la saleté de ses histoires, Maruo préfère ici créer des atmosphères lourdes et inquiétantes, dont on ne sait quand explosera toute la malice. En dehors de la simplicité de sa deuxième histoire, qui est aussi la plus courte, chacune de ces courtes histoires semble pourtant offrir bien plus que ce que son nombre de pages semble limiter, distillant un étrange sentiment de malaise qui perdure encore dans l’atmosphère une fois le livre refermé.