Les colosses se brisent quand ils tombent, les pervers, eux, sont indestructibles...

Qu'il est bon de s'enfiler, que dis-je, de s’empiffrer pareille cohorte malsaine. Qu'il est agréable de l'énoncer ainsi, gardant chaleureusement en mémoire l'épanchement éminemment pervers de l’œuvre. Qu'il est bon de jouir d'immondes bassesses et de personnalités tourmentées. Qu'il est bon de lire Ichi the Killer, une main tournant les pages et l'autre chatouillant le calcif, un sourire à peine coupable aux lèvres. Vous et moi on commence à se connaître, ma diatribe n'aura, de ce fait, que peu de secret pour tout un chacun.


La noirceur même de l'humanité, voilà ce qu'il y a de plaisant, plaignez dont mes patients. Je dois avouer que les histoires dépeignant de mauvaises personnes effectuant de mauvais actes sans que la futile exigence morale ne s'en mêle ont quelque chose de vraiment particulier. Il faut en avoir une sacrée paire pour oser coucher sur des planches les sombres horreurs et pensées qui animent nos amis les humains. Lire Ichi the Killer c'est abandonner ses godasses sur le pallier du stupre pour enfiler ses chaussons en poils d'excitation, c'est regarder en arrière sur notre existence et se sentir moins seul face à ses vices.


Ichi the Killer, au delà de son contexte de jeu de pouvoir entre gangs de Yakuzas qu'une tour d'immeuble regroupe sous une paix flexible, le manga nous parle principalement de sadisme et de masochisme. Pour se faire, nul besoin de prendre des pincettes et de glisser un doigt hésitant dans la fente, autant y aller sec, que lubrification il y est ou non. La calibrage on le laisse volontiers aux œuvres simples qui n'ont généralement pas l'ambition d'aller au bout de son sujet.


Nous y allons sec disions-nous sans gêne, regardons un peu nos personnages pour nous en convaincre définitivement. Si beaucoup sont plus ou moins développés et mis sur le devant de la scène, révélant les affres de la drogue, de la manipulation ou encore de la pratique tout à fait bienvenue de la nécrophilie, deux protagonistes (et un troisième dans l'ombre) se détachent réellement du lot : Kakihara et Ichi. Kakihara est le masochiste par excellence, le genre de type tellement sale et vicieux qu'il ferait passer Balkany pour quelqu'un de recommandable. Ce qui le branche au Kakihara c'est qu'on lui fasse mal, qu'on le brise et le détruise. Et qui de mieux qu'Ichi pour se faire, ce mystérieux tueur s'étant débarrassé froidement d'un chef Yakuza. Au fur et à mesure que l'histoire évolue, son existence ne peut tendre que vers l’excitation que lui procure l'idée qu'Ichi pourrait le transformer en amas de chair, en bouillis d'humain, l'ultime désespoir, l'ultime orgasme en somme.


Ichi quant à lui est un jeune gars extrêmement torturé, psychotique à n'en pas douter. C'est un tueur monstrueux aux allures de gamin apeuré, chialant à tout va lors de ses nombreux crimes que nous avons pour héros. Ce n'est pas un personnage qu'on peut aisément définir le Ichi tant il apparaît comme complexe pour ne pas dire bizarre. Éternelle victime des brimades d'autrui, Ichi, une fois son armure et ses chaussures à lames enfilées se transforme alors en implacable instrument de mort...


Seulement pareil exploit de la part d'Ichi ne saurait exister sans l'esprit retors de ce marionnettiste d'Oji-san, ce "vieil" homme d'apparence discrète, certainement le personnage le plus dangereux des trois présentés.


La violence c'est terriblement excitant, je n'apprends rien à personne en disant cela. Ichi the Killer magnifie cette violence par un dessin charismatique sans esthétisation forcée, la rapprochant sans cesse de son but pulsionnel, jouant d'effets souvent choquants pour attiser notre œil pervers. Si l’œuvre tend à s'allonger quelque peu, formant un creux au milieu de la vague, le frisson n'oublie guère son lecteur en fin de parcours.


Initialement publié au Japon entre 1998 et 2001, Ichi n'arrivera que bien plus récemment dans nos contrées. Son adaptation filmique de l'excellent Takashi Miike marquera, de ce fait, davantage nos esprits. Or, si le film est de qualité, bien évidemment, le manga apporte plus, ose plus, va encore et toujours plus loin dans l'excès. A dévorer, donc, sans retenue. Rassurez-vous, nous ne lui ferez jamais plus de mal que lui peut vous secouer de sa main agile.

Fosca
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le 12 août 2016

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