Pas besoin d’avoir lu un roman-photo en entier pour s’apercevoir qu’il s’agit ici d’une parodie – mon expérience du genre se limitait jusqu’à présent à d’autres parodies, celles de Hara-Kiri, et à la rigueur à la Jetée de Chris Marker. Du reste, ce qui est intéressant avec les parodies de roman-photo, c’est qu’elles se moquent généralement du genre en lui-même, jamais ouvertement de ses lecteurs (présumés), alors que ce serait très facile d’y lire un sous-divertissement pour cassos’ et d’oublier qu’on est tous le cassos’ de quelqu’un. (« Vous aviez un bac G / un bac à bon marché », chante Sardou…)
Dans un sens, certaines parodies sont des réhabilitations : elles exploitent le genre, en montrant ce qu’il donne quand on en garde les contraintes – ici quand on applique le roman-photo à autre chose qu’à des bluettes érotico-sentimentales au premier degré, qu’on soigne les cadrages et qu’on construit le récit. Cette parodie-là serait à lire dans cette optique.
Il me semble cependant qu’Et si l’amour c’était aimer ? ne se contente pas de se moquer d’un genre, ni même d’une époque. (L’album est évidemment bourre d’anachronismes, sans être une ode à la modernité.) Comme les autres albums de Fabcaro que j’ai lus, celui-ci met en lumière la vacuité totale des conventions sociales, dans un monde où le langage – dès le titre – ne vaut absolument rien ; on peut appeler ça de l’absurde si on veut. C’est drôle, oui, mais c’est de l’humour noir.
Et je suis étonné, à lire certaines critiques, que la noirceur du propos n’y apparaisse pas davantage. Le monde de Fabcaro attaque les conventions, et même la révolte y est présentée comme conventionnelle. La fin de l’album fait sourire, il n’empêche qu’elle annonce un avenir aussi pathétique que le récit qu’on vient de lire. Toujours la même merde, en boucle.
M’étonnerait pas qu’un de ces jours, l’auteur publie son Blast ou son Rapport de Brodeck à lui.

Alcofribas
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le 14 déc. 2020

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Alcofribas

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