Loin des chefs d’oeuvres qui ébranlent nos tripes avec violence, Yokohama Kaidashi Kikou apparaît comme un doux zéphyr et laisse le soin au lecteur d’interpréter son aventure passée parmi ses pages. Pour moi, et pour beaucoup d’autres, ce fut une révélation qui a laissé une marque, non-violente mais pas moins profonde, au fond de mon coeur.


Yokohama Kaidashi Kikô (YKK) peut avoir la prétention de s’élever en monument par quelques traits de génie de la part de son auteur, Hitoshi Ashinano, qui a su inventer la configuration parfaite pour son monde imaginaire. Tout d’abord, le choix du monde post-apocalyptique frappe le regard dès les premières pages, dès les premières ruines rencontrées à travers ces chemins bucoliques, vides et chaleureux à la fois, comme des ruelles calmes d’une cité estivale. Quoi de mieux pour célébrer la vie que de conter le crépuscule de l’humanité sous un orange paisible? Ces fantômes qui habitent ces vestiges de savoirs, ces échanges laconiques, ces secrets non-dévoilés, tout s’imbrique pour ajouter à la mystique du monde de l’héroïne, Alpha. Le lecteur voit ainsi ses yeux éparpillés à travers ces vastes étendues, chacune contenant son expérience unique mais connectée dans un tout magique.


Ce n’est pas non plus un hasard si Alpha est un robot, un être immortel, pour contempler le temps fugace. Cette pratique de l’esthétique du mono no aware n’aura jamais été aussi bien utilisée au point de créer une aura à la fois mélancolique et pleine de joie, une aura qui éloigne bien loin l’oeuvre des productions fast-food culturelles.


Hitoshi Ashinano peut aussi compter sur son talent de dessinateur pour donner vie à son lyrisme, surtout grâce à sa maîtrise des paysages naturels: le trait des herbes, l’effet du vent, la gestion des ombres et de la nuit, même les restes des constructions humaines deviennent sous son crayon des merveilles de paysage. Par son talent, ces pavements de bétons deviennent l’Avalon des romantiques de jadis. Affublés du rang de mystère, ils participent pleinement à la narration, comme le prouve l’auteur qui n’hésite pas à utiliser des pages entières sans bulles, tels des tapisseries prêtes à révéler leur rêve.


Les personnages eux sont dessinés plus simplement. Le robot Alpha semble l’exception tant son visage irradie de charme mais pour des raisons obscures, Hitoshi Ashinano ne semble pas garder ce même design durant les douze années de publications du manga et Alpha perd de sa superbe après un moment (comparez les premiers chapitres avec le deuxième tiers). Sans doute mon seul bémol envers la série qui vaille la peine d’être cité.


Les autres personnages en dehors d’Alpha ne sont pas vraiment mémorables mais se complètent parfaitement et apportent des perspectives plus sérieuses et indispensables pour convoyer pleinement le message final. La non-mention de certaines personnes lors de l’épilogue est sans conteste une manière fascinante de marquer les esprits. Mention spéciale aux intervenants anonymes qui nous offrent lors de certaines occasions des interludes savoureuses.


Yokohama Kaidashi Kikou est à conseiller comme l’on conseille à n’importe qui un classique de littérature. A ne manquer sous aucun prétexte.

Skidda
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Créée

le 27 juil. 2012

Modifiée

le 25 août 2012

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Skidda

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