Dragon Ball. Je ne vous ferai même pas l’offense de vous le présenter, ni même allusivement. L’œuvre est intemporelle, un délice à redécouvrir à tout âge, et je le sais pour l’avoir fait il y a quelques années de ça. Voilà un succès éditorial mondial qui n’a pas été usurpé et qui, pour un peu, a même été mésestimé. Car quand on prend toute la mesure de ce qu’était fondamentalement Dragon Ball et de ses incrémentations explosives dans le milieu du Shônen, on ne l’encensera alors jamais assez pour ce qu’il est foncièrement. Que ce soit sur le plan de l’édition du manga jeunesse ou bien même dans l’imaginaire populaire mondial ; il y a eu un avant et un après Dragon Ball. Ayant pour moi un petit sens de la formule et de la provocation, je dirais que l’œuvre était alors l’événement le plus retentissant au Japon depuis la bombe atomique.


Quand les générations plus récentes, que j’appelle aussi « ces jeunes de merde », ont entamé à leur tout leur périple Shônen grâce à Eiichiro Oda – alors digne successeur de Toriyama s’il avait su s’arrêter à temps – ma génération, le seule qui vaille, a quant a elle été initiée par Dragon Ball. Le manga est alors pour nous d’autant plus sacré qu’il a même une emprise solide sur notre enfance ; sur notre imaginaire. Mais nos souvenirs d’enfance, s’ils sont pour nous de délicieuses sucreries qu’on aime à pourlécher dans les instants de mélancolie, aux yeux de la Shueisha, ce sont des orifices. Des orifices pour eux très affriolants qu’ils se plaisent allègrement à souiller par tout moyen. Et ça tombe bien, parce que des moyens, ils en ont une tripotée dès lors où ils détiennent des droits sur le titre de Dragon Ball. Car quand on pactise avec la Shueisha, il faut bien comprendre que la politique des auteurs n’est pas de rigueur. Aussi, quand un mangaka accouche d’un prodige, la maison d’édition, de ses griffes aiguisées, le lui arrache des entrailles pour en faire plus ou moins ce qu’il désire. Et vous aurez beau avoir vendu des centaines de millions de volumes, vous ne serez jamais considéré comme un auteur digne d’avoir le dernier mot sur son œuvre.


C’est donc avec plaisir que, pour mieux humilier Akira Toriyama, la Shueisha, en confiant le projet Dragon Ball Super à l’insigne inconnu qu’est Tayotarô – qui a dit mercenaire ?! – aura même estampillé l’œuvre de l’annotation « D’après une idée originale d’Akira Toriyama ». Une mention à peu près aussi honnête que peut l’être l’indication « Bonbons gratuits » sur une vieille camionnette rouillée tout en étant porteur des mêmes promesses. Parce que oui, Dragon Ball Super, vous le lirez avec les yeux, mais en ayant toujours très mal au cul.


Dragon Ball Super qui aura par ailleurs été désavoué par Akira Toriyama en personne, contraint de réécrire le script par cent fois. Akira Toriyama, un homme qui n’aimait pas Dragon Ball et qui, en voyant ce que la Toei (je parle de la Toei actuelle, pas celle qui nous a fait saliver avec le premier anime et les succulents OAV), en compagnie de ses complices, ont pu faire à sa création… a fini par aimer son œuvre originale au point de vouloir la protéger par tout moyen. Il fallait le faire ; ils l’ont fait.


Dragon Ball GT, envisagé par la Toei de la belle époque, avait de bonnes idées mal exécutées et une animation à peu près au rendez-vous. Dragon Ball Super est, en ce qui le concerne, un résidu de fond de fosse septique qu’on aura estimé assez digeste pour le faire bouffer à ses cochons de lecteurs. Et y’en a qui aiment ça figurez-vous. Il en faut me direz-vous, comment des auteurs accomplis comme Hiro Mashima ou Yuki Tabata pourraient trouver leur public autrement ? Eh oui.


Dragon Ball Super le manga, dit-on, suit le scénario de l’animation en restant à la traîne au regard de la parution. C’est de son cas dont on va s’occuper. Aussi, je ne reviendrai pas sur la qualité de l’animation qui sera parvenue à mon regard. Très franchement… on vous donne la charge d’adapter la suite d’un joyau légendaire et mondialement réputé… vous oseriez faire ce qu’a fait la Toei ? Ah ils sont tombés bien bas. Regardez leurs OAV jusqu'au treizième pour vous en convaincre.


Évoquons le dessin tout d’abord, et faisons-le en tempérant les jurons. Je l’ai évoqué de manière à peine voilée, Tayotarô est un mercenaire éditorial. Un homme qui, dans le milieu du cinéma, serait appelé un « Yes man », tout juste bon à commettre les âneries de la production au moment de la réalisation de son film. Son seul mérite ? Savoir plus ou moins copier le style de Toriyama. L’homme, pour ce qui est de son palmarès artistique, a donc les mêmes attributions qu’un contrefacteur de sac Chanel. Il en a les attributions, mais sans en avoir le talent, évidemment. Car outre les traits mal assurés et plus timides… ceux-ci n’ont aucune force, aucune conviction. Qu’on lise ma critique de Dragon Ball où je me suis appesanti sur le sujet : il y a une intensité folle et jamais égalée dans les dessins de Toriyama quand celui-ci donne lieu aux déflagrations entre autres scènes flamboyantes. Ici, tout fait l’effet d’un pet mouillé. J’aimerais dire qu’on goutte ici à du Canada Dry, mais je parlerais alors d’une variété de Canada Dry coupée à l’eau. Cette même eau qui croupissait au fond de la fosse septique d’où l’on a extrait l’idée de faire une suite à Dragon Ball. Ce qu’ils sont fades ces dessins, mal maîtrisés, sans assurance ni audace sur le plan de la scénographie. Non, décidément, le fait de copier n’a rien à voir avec le processus créatif. Lisez un chapitre de Super et un de l’œuvre originale dans la foulée, vous saurez sans peine distinguer lequel a avoir été écrit avec talent et celui issu d’une commande. C’est d’une pauvreté. Nous avons indubitablement affaire à un imitateur qui ne mime jamais que les choses en surface ; et bien mal de surcroît.


Connaissez-vous Samir34 ? Tapez son nom dans Google images et scrutez ses créations. Voyez, cet homme-là a dessiné les aventures de personnages de Dragon Ball dans un cadre islamique. Il fallait en avoir l’idée ; il l’a eue, et on l’en remercie. Dans ses créations illustres, on y voit notamment un Végéta blédard habillé d’un survêtement voler un sac-à-main à une femme impuissante. Cela entre bien d’autres épopées du même style. Les esprits les plus rupestres et les moins ouverts aux choses de l’art montpelliérain pourront trouver ça très con. Que ceux-là se le tiennent pour dit : ça ne sera jamais plus débile que ce que vous lirez le temps de Dragon Ball Super. Oh que oui, vous préférerez voir Tortue Géniale tenir un Kébab et Krillin fumer une chicha après être allé à la mosquée que de vous infliger une commande Shueisha d’un tel ordre.


Qu’est-ce que c’est mauvais. Une suite de manga par un autre auteur peut être réussie quand cet autre auteur a capté l’essence même de l’œuvre dont il narre la suite. Parasite Reversi en est la preuve par quatre. Mais ici, on sent le travail bâclé. Les conclusions de chapitre ridicules avec un Kaïoh Shin qu’on devine anxieux – car le dessin n’est pas suffisamment clair pour qu’on puisse le déterminer – et ses répliques cliché « J’ai un mauvais pressentiment » pour un suspense en peau de lapin… que tout cela est lamentable. Aurait-on voulu saboter la licence qu’on ne s’y serait pas mieux pris. Je crois que même la Fox a davantage de circonstances atténuantes du fait qu’elle ait voulu adapter très librement le manga en film ; mais ici, c’est d’une suite supposément avalisée par son auteur à laquelle on a droit… c’est paraît-il « canon ». Eh bien non, car je le dis de ma modeste autorité de lecteur : ce boulet n’a rien de canon.

Tous les extra-terrestres présentés sont laids, conceptualisés sans la moindre forme d’imagination, et ne respectant justement pas les canons du style graphique instauré par Toriyama. Les personnages de Dragon Ball n’ont certes jamais brillé de par leur personnalité étincelante, mais il y avait un quelque chose qui les constituait et qui, dans certains cas, a même été développé. Pour ce qui est du caractère, ici, vous n’aurez droit qu’à des coquilles creuses et insipides qui ressemblent en tout point à des parodies. La Toei, à la belle époque, savait créer des histoires originales – sans même que Toriyama n’écrive une ligne de scénario – tout en respectant à la fois l’univers, les protagonistes, et le sens créatif de l’auteur. Il suffit de porter le regard sur tous les personnages introduits dans les OAV et les téléfilms de la Toei pour s’en rendre compte. Des personnages par ailleurs si légendaires qu’ils ont eu droit à des survivances dans l’œuvre présente à la manière d’un Paikuhan, d’un Bardock (rendu Canon par Togashi durant l’arc Freezer) ou bien d’un Broly ; des personnages 100 % estampillés Toei.


Permettez alors un instant que je m’essaye au jargonage relatif à la canonicité – pour ne pas dire la canonerie – de Dragon Ball Super. Broly a été introduit dans le huitième OAV Dragon Ball Z en 1993. Au regard de la chronologie et de la temporalité de l’intrigue dudit OAV, son incorporation dans l’histoire de Dragon Ball est incohérente. En effet, son intrigue serait advenue dans la trame des dix jours précédant le Cell Game. Broly, aussi plaisant soit le personnage, n’est donc pas canon dans l’œuvre originale du point de vue de la stricte cohérence narrative et ce, quoi qu’en dise l’auteur. Or, ce même Broly est un personnage de Dragon Ball Super, ergo, Dragon Ball Super ne peut être affublé de l’étiquette « canon » et ne saurait être accepté comme une suite légitime de Dragon Ball. C’est donc une contrefaçon que vous lirez ici, et une de bien mauvaise facture.


Cet inconvénient expédié, on peut s’en retourner vomir cette fausse suite avec le sourire. Les combats sont lamentables, même en dessous de ce qui se fait dans les Shônens de l’époque qui ne sont pourtant pas une référence, et rien n’est soigné. Les rapports de force et d’évolution de puissance, parfois mis à mal du temps de Dragon Ball, ne répondent ici à aucune logique.

L’auteur rajoute évidemment une transformation sortie de nulle part et accomplie en cinq minutes de temps, pour apporter sa pierre à l’édifice sans doute. Une pierre jetée dans des vitraux étincelants, cela va sans dire. Il faut faire dans la surenchère, il faut. L’inconvénient étant que les personnages de Dragon Ball avaient atteint une puissance telle durant l’arc Buu qu’ils devaient se retenir dans leurs attaques de peur de détruire la Terre. Dragon Ball GT avait pris cela en compte en choisissait plutôt d’affaiblir Goku que lui donner initialement plus de puissance. Il n’y a pas une bonne idée, ni même l’ombre d’une dans les chapitres qu’on lit. On les déplore d’ailleurs plus volontiers qu’on les lit pour tout vous dire.


Ah oui, vous l’ignoriez ? Goku respire dans l’espace. La fin de l’arc Freezer – qui lui pouvait survivre dans l’espace – tendait à indiquer le contraire. Tout comme le fait que ce même Goku ait pu avoir besoin d’un vaisseau spatial pour atteindre Namek plutôt que de filer à vive allure comme il le fait ici. En subissant Dragon Ball Super, j’en venais parfois – et même souvent – me demander si Tayotarô avait seulement pris la peine de mettre son nez dans l’œuvre originale. Quitte à commettre une suite honteuse, autant au moins mettre un fan inconditionnel à la manœuvre. Je le dis et je le prouve à chaque argument que je formule contre cette déjection : la première fan-fiction de collégien venue est une meilleure suite potentielle de Dragon Ball que n’a pu l’être Dragon Ball Super.


Revenir sur l’Empire Galactique de Freezer, ce qui en est advenu après sa mort et celle de Cold auraient pu être des pistes d’intrigue intéressantes. Elles ont été évoquées pour la finalité d’être profanées et abandonnées aussitôt. Chaque fois qu’on pouvait croire que Tayotarô avait une idée intéressante à nous soumettre, c’était une feinte.


Des combinaisons d’entraînement très lourdes, ça c’est original. Il me semble néanmoins que cela avait déjà été fait dans un manga. Le personnage principal portait des poids d’entraînement comme vêtements et utilisait une salle où la gravité était multipliée par cent – puis plus tard par trois-cent – afin de se renforcer en conséquence. Ah oui, je me souviens : c’était dans Dragon Ball.


Pas-une-seule-idée-neuve.


Il y a douze univers aussi. On connaît moins de dix planètes présentées du temps de Dragon Ball… mais oui, il fallait créer douze univers pour exploiter l’horizon. C’est de l’improvisation désespérée qui guide le fil du récit, que voulez-vous lire d’appréciable dans ces conditions ?


Un tournoi, ça aussi c’est original. Il faudra pas dix chapitres avant qu’on nous en annonce un. Quand Tayotarô a commencé à faire tourner le moteur de Dragon Ball Super, tout porte à croire qu’il roulait déjà sur les jantes. C’est incroyable d’avoir si peu d’imagination. Mais ce qui est plus incroyable encore, c’est de donner la charge à un auteur pareil de prendre la relève de Toriyama pour poursuivre son œuvre. Vous pouviez pas plutôt aller chercher les anciens de la Toei ? Ceux qui ont fait les scénarios des OAV, ils avaient fait un travail démentiel et avaient su le mettre en scène. Ou au moins les graphistes de Dragon Quest pour qu’ils s’occupent du dessin, un peu de bon sens. Non. Il aura fallu prendre le pire du pire pour écrire et dessiner l’histoire présente. C’est un sabotage ou je ne m’y connais pas.


Rien n’est plaisant à la lecture ; rien. Et j’écris cela en faisant fi de mon appétence pour Dragon Ball. En admettant que tous les personnages et l’univers eurent été différents, mon constat aurait été le même : il n’y a pas une once d’imagination derrière un dessin sommaire. Qui peut s’infliger ça par plaisir ? L’intrigue est absente, tout ce qui se rapporte sur les pages ne suscite pas le moindre influx nerveux quand on le lit, il n’y a rien pour stimuler le plaisir ou même l’intérêt du lecteur. Bon sang, Tayotarô aura été jusqu’à nous mettre un clown parmi les antagonistes ; il m’a pris de court quand je voulais dire de son écriture qu’elle était clownesque. On ne ressent jamais la moindre menace ou même un ersatz d’adversité quand on lit Dragon Ball Super ; car en définitive, on ne saurait ressentir quoi que ce soit quand on déguste un plat sans goût ni saveur.


Du Freezer et du C-17 au rabais pour combler le rang des personnages principaux dont la personnalité avait déjà été niée… c’est du fan service à ce point. Et même pas un qui soit réussi.

Dragon Ball, à l’arc Buu, avait laissé pas mal de protagonistes sur le carreau, mais il avait au moins accordé une distribution assez large pour varier les combattants. Qu’on se le dise, ici, il n’y en aura que pour la parodie de Goku et Vegeta ; tous les autres auront droit à un lot de consolation pour faire acte de présence.


Un absolu désastre d’une planche à l’autre. Ne croyez pas que vous serez déçu en lisant Dragon Ball Super, car vous lisez finalement en réalité une piètre fan-fiction qu’un magazine de la Shueisha a daigné afficher dans son corpus par pitié. Je vous l’air dit, en lisant Dragon Ball Super, vous relativiserez Samir34 de beaucoup. Car lui au moins avait des idées neuves et une création avec un minimum de caractère.


Dragon Ball ? C’est quarante-deux tomes. Répétez-le autant qu’il le faudra pour vous le mettre dans le tête ; surtout si vous avez le mauvais sens de travailler à la Shueisha. Glénat, quand ils s’adonnent à la rapine sur une licence pareille, évitent au moins d’en rajouter quand ils font les poches à leur lectorat. Des pudeurs que n’ont pas eu la Shueisha ; les éditeurs d’une gemme qu’ils auront cherché à ternir par tout moyen depuis près de trente ans.

Josselin-B
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le 15 déc. 2023

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Josselin Bigaut

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