Dr. Stone
6.8
Dr. Stone

Manga de Riichiro Inagaki et Boichi (2017)

Une ode à la science où ne pas s'attarder à la vraisemblance du récit

(EDIT : je rétablis les accents prochainement.)
Voici un projet etonnant. Si vous reagissez contre l'invraisemblance du recit, vous avez tout faux et partez sur de mauvaises bases pour apprecier ce manga. Il s'agit d'un manga qui fait l'eloge de la science et pour cela le recit adopte une construction allegorique. Le heros est un surdoue. Peu attentif a l'ecole, il etait pourtant hyper investi dans les etudes, il a passe son temps a lire, experimenter, assimiler. Tout en etant encore un pied dans l'adolescence, il porte l'histoire de la science. Son principal ennemi est contre la science, position qui peut sembler caricaturale, mais qui ne l'est pas tellement. Le manga denonce une position courante de ces dernieres decennies ou la science est souvent accusee de faire partie du mal des societes. Le mechant du manga fait une equation science = arme des riches. Et, s'il offre l'exemple d'une contradiction recurrente de mechants des mangas qui pour la purete, la justice, la morale, la gentillesse, tuent les humains, le grand antagoniste represente une certaine intolerance d'une pensee idealiste complaisante qui nie la science, la liberte de creer, etc. On a donc un portrait bien plus credible qu'il n'y parait du gars qui veut, a la Staline, creer une societe primitive sans evolution ou il tue tous ceux qui s'opposent a son indiscutable bel ideal et ou il cree tout de meme une societe hierarchique ou le plus fort qu'il est occupe le sommet du pouvoir. On a l'idealiste pervers narcissique qui n'ecoute pas les autres et qui, mettant en oeuvre sa societe, agit come un riche, comme un puissant qui, a defaut du progres scientifique, utilise les armes les plus accomplies qui lui passent sous la main, un champion malsain de la contradiction en somme. Face a lui, nous avons le heros desinteresse qui revit en accelere l'histoire de la science des hommes sur deux millions d'annees, puisque sa memoire est supposee reduire les tatonnements et le temps meme des experimentations, mais un heros qui veut envisager cela comme un legs a l'humanite future avec ce discours a noter aussi au passage : "la Nature n'a pas d'emotions, ni nos pensees, grace a nos emotions et a nos pensees nous ne sommes pas voues a etre vaincus par elle, nous pouvons la surpasser."
On peut tiquer un peu quand on voit les reinventions des ramens, du coca et surtout du telephone. Il y a meme une exaltation du smartphone qui denote completement avec l'idee d'un etre voue a la cause du progres scientifique. Je classe plutot le smartphone du cote des objets avachissants.
On peut trouver que cela va tres vite question evolution scientifique, mais le format manga legitime le procede. On a quand meme un inventeur qui rappelle qu'il y a des mises au point prioritaires, par exemple faire du verre avant d'esperer faire des experiences de chimie, etc.
Mais pourquoi donc refaire l'histoire de la science ?
L'intrigue est lancee par un evenement fantastique inexplique. Les hirondelles et les humains ont ete petrifies. Pourquoi les hirondelles ? Parce qu'annonciatrices du printemps sans doute : il y a forcement une raison symbolique. Livrees a elle-meme, les centrales nucleaires n'ont apparemment fait aucun degat. Apres 3700 ans, la nature sauvage a pas mal repris ses droits. Nos heros n'ont pas l'air de rencontrer de restes du monde urbain un peu partout. Mais qui sont ces heros ? Il y en a de deux sortes. D'abord, les humains petrifies ont survecu et dans certains cas ils se depetrifient et recuperent leurs formes. Notre heros decouvre le moyen d'en delivrer d'autres, puis le mechant s'empare de la technique et multiplie les delivrances mais en operant des selections, de toute evidence selon un principe de discrimination au facies et peut-etre aussi en fonction des apparences vestimentaires puisqu'il ne veut pas de riches. L'histoire evolue avec un petit nombre de personnages, mais on a deja une logique : armee contre village.
Deux amis du heros sont laisses de cote des le debut de l'histoire et cela pour longtemps, il en faudra des chapitres avant de les voir reapparaitre. Le grand mechant lui-meme va etre soumis a de belles eclipses. Mais le heros rencontre donc la deuxieme forme d'humains rescapes de la catastrophe, des humains qui sont nes dans ce nouveau monde, ce qui laisse le lecteur envisager deux possibilites ; ou ils descendent d'humains depetrifies depuis plus longtemps ou ils descendent d'humains non petrifies. J'ai la reponse, mais je la garde.
J'ai conseille de ne pas critiquer les problemes de vraisemblance du recit, et pour ce qui est de la science je ne pense pas non plus qu'il soit necessaire de pinailler sur ce qui est raconte. Non, il faut au contraire admettre que c'est tres bien. En revanche, le recit scientifique suit tout de meme un schema un peu rigide et mecanique, on ne respire pas assez dans le manga et le heros, qui a pourtant herite d'une tete a la Sun-Ken Rock, est comme asexue ! A un moment donne, c'est trop gros. Certes, le manga a du rythme, la science va vite, tres vite, elle n'est plus lente comme avant. Mais on est essentiellement tenu en haleine par l'interet de la logique des decouvertes, par la resolution de problemes scientifiques en fonction de la vaste memoire du heros. On vit en particulier au rythme d'un suspense particulier : le heros organise l'ordre des decouvertes, l'ordre des recherches, tout cela repond a un plan tres etudie. C'est tres chouette en soi. En plus, on a un balancement entre le suspense exaltant de la cause scientifique et les gags. On a aussi quelques interactions, des conflits avec divers profils de personnes, pas seulement le grand mechant, car il va y avoir l'indecis qui fait double jeu, celui qui veut devenir chef du village ou a debarque le heros, etc., et donc ce n'est pas qu'une histoire acceleree de la science reinventee parce que rememoree. Il y a bien de l'action, c'est juste que le heros n'est pas l'homme fort physiquement auquel on s'attendrait dans un manga, manga qui plus est dessine par Boichi.
Le truc, c'est que malgre tout le recit subit trop la regle d'une neccessaire evolution fulgurante des realisations scientifiques pour defendre le village des menaces qui planent. Les heros n'ont forcement pas le temos de se reposer, mais cela continue le style du recit helas. Puis il y a beaucoup de choses a raconter quand on veut enchainer avec un minimum de rigueur des decouvertes qui doivent s'emboiter avec harmonie l'une dans l'autre, pas loin de cent chapitres deja et j'en suis au cinquante-quatrieme. C'est la que le bat blesse. On n'a rien sur l'evolution des coeurs. On n'a pas vraiment d'arret ou les gens ont des moments intimes pour echanger, faire part de leurs joies, de leurs etonnements. On n'a pas la discussion d'une personne du village qui regarde en arriere. Non, les personnages n'ont aucune profondeur, ils sont touchants mais caricaturaux et sommaires. Il manque une ouverture sur la vie des ames dans ce manga qui fera des centaines et centaines de pages.
Pour le dessin, c'est tres maitrise. Boichi dessine tres bien et a sa patte personnelle. Il reconduit la tete de Sun-Ken Rock sur son heros principal. Il s'adonne aussi a un cote quasi chibi, mais c'est moins violemment contraste que dans Sun-Ken Rock car on part sur des personnages sans doute de plus petite taille et aussi parce que on n'a pas une opposition entre un cadre tres realiste et un cadre emotionnel et gag de chibi, les ecarts sont moins eleves, c'est plus lisse de maniere a bien rendre acceptable l'alternance entre les deux et puis le recit a une legerete d'ensemble qui fait que le registre comique reste assez uni. N'etant pas fan des cases en mode chibi, je suis assez content du resultat.
Enfin, il y a le personnage feminin de Kohaku, elle va d'ailleurs avoir quelques sosies ou quasi sosies dans les tomes qui suivent son apparition, mais elle est la grande figure feminine de ce manga. Il s'agit d'une femme melangeant des traits europeens, allemands, avec des traits japonais. Elle est blonde, assez petite, a une croupe assez importante, des hanches bien creusees, de grands yeux en amande, verts sur les pages en couleurs, une coupe mi-longue qui le fait, de hauts talons dans des chaussures ou le pied est a decouvert dans un jeu de lanieres. Elle a la jambe galbee. C'est une creation de la fantaisie, une petite femme fatale, mais c'est une vraie reussite. On peut aller plus loin. Boichi n'hesite pas a enlaidir les visages des femmes les plus belles, on le voit en particulier dans le cas de celle qui a besoin de lunettes et qui plisse les yeux, on le voit quand Kohaku ou d'autres pleurent abondamment, avec meme de la morve dans le nez. Mais Kohaku est physique, elle se bat et elle se contorsionne et les fetichistes des pieds y trouveront nettement leur compte, car en effet ils sont assez souvent bien mis au centre de maintes cases du manga en fonction de pas mal de positions langoureuses ou acrobatiques.
Voila, ce n'est pas le meilleur des mangas, son theme et son eloge lui assureront un public, mais sans doute un public peu elargi. Dans tous les cas, cela reste un manga agreable. On ne le lit pas d'une traite, mais en coupant sa lecture on a quelque chose de bon a prendre. C'est certainement le genre de manga a conseiller dans les familles ou les peres veulent le meilleur pour leurs fils, veulent l'exaltation de la science, veulent que l'enfant sente que la vie est une invitation au voyage ou le cerveau cherche le depassement et la maitrise.
Le gros problème, c'est bien ce sentiment d'urgence qui empêche le récit de se poser... Il faut très vite enchaîner mises au point scientifiques sur mises au point scientifiques, les auteurs n'en font même pas un sujet de retour comique sur cette vitesse obligée du récit et ils ne s'attardent jamais sur un soir où les énergies se délassent, où l'obligation de plages de repos aidant on a une heure où on fait le point sur la vie qu'on mène. Ce ne serait pas fausser l'urgence du récit de consacrer un chapitre à raconter un petit-déjeuner, une soirée avant d'aller dormir,...

davidson
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le 10 mars 2019

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davidson

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