Une condamnation à mort, de la barbarie, des exactions et … une soumission absolue.


La série Donjon compte de nombreuses pépites, mais Des soldats d’honneur est définitivement hors-norme. C’est ce genre d’album qui participe à la richesse de l’univers de Donjon, qui en fait une série réellement à part dans le domaine de la fantasy – et même, osons l’écrire, dans le paysage BD tout court. On sortirait presque du cadre de la bande dessinée traditionnelle pour rentrer dans celui de l’expérimentation.


En se focalisant sur un personnage lambda inconnu jusqu’alors dans la série – et qu’on ne reverra plus jamais dans la suite de la série, et pour cause ! – Sfar et Trondheim s’éloignent de l’ambition de départ de la série Donjon Monsters (celle de « raconter une grande aventure d’un personnage secondaire du Donjon ») et se servent en fait de Görk (le « héros » de cet épisode) pour explorer davantage l’univers de Terra Amata (ici en train de tomber totalement sous la domination du Grand Khan), comme ils s’étaient servis de Noyeuse dans le Donjon Monsters précédent (Les profondeurs) pour présenter au lecteur le monde sous-marin de Terra Amata. Un procédé qui ouvre énormément le champ des possibles, mais qui n’est pas nouveau dans la série donc.


Ce qui rend surtout cet album unique, c’est la façon dont est construit le scénario : toute la narration se déroule en voix-off, dans des cadres qui présentent les pensées et paroles du « héros » à la première personne du singulier. Pas de dialogues, pas de phylactères : un procédé absolument unique dans la série ! L’ambiance archi noire qui se dégage de ce récit est également à souligner. Là où des albums comme Crève-cœur (DM8), Les profondeurs (DM9) ou certains Donjon Potron-Minet pouvaient être durs, tristes ou écœurants, mais laissaient quand même la porte entr’ouverte à un certain espoir, ici l’espoir est totalement banni. C’est noir, cauchemardesque, trash, absurde, terrifiant, plein de résignation, sans aucune chance d’échapper au destin funeste. Et pourtant, malgré la noirceur des propos ou des situations, l’humour (noir et cynique, forcément) reste présent ! Un sacré tour de force que signent là Sfar et Trondheim.


Ultimement, c’est pourtant un album qui fait très peu avancer les choses dans la série, mais qui n’a pas forcément besoin de le faire non plus. Tout juste apprend-on que Cochonville résiste tant bien que mal depuis plusieurs années aux légions du Grand Khan avant le début officiel de l’ère Donjon Crépuscule, que le Grand Khan a fomenté un plan avec un shaman draconiste renégat (qu’on reverra dans Le dojo du lagon (DC104)) pour faire tomber la ville des magiciens et que Schiwomitz occupe la fonction de Capitaine des Gardes au sein de la Forteresse Noire. On fait également le lien avec l’album Le cimetière des dragons (DC101) en comprenant pourquoi le Roi-Poussière est enfermé dans une grotte au début de cet album. Bref, c’est assez maigre comme informations mais on est quand même content d’en apprendre plus sur l’univers Donjon et de faire le lien avec d’autres albums de la série.


A scénario d’exception, dessin d’exception. Confiée à Bézian, la partition graphique est tout bonnement incroyable de maîtrise et de puissance. Surtout, le style du dessin se démarque complètement de tout ce qu’on a pu voir jusqu’à présent dans la série. Le trait tourmenté, brut, sauvage, écorché de Bézian va complètement de pair avec la noirceur du scénario, et le dessin renforce au final l’ambiance barbare et cauchemardesque de l’album. Le découpage monotone en gaufrier de six cases renforce les sentiments de fatalité, de soumission absolue et de manque de libre-arbitre auxquels est soumis le personnage de Görk. Si on ajoute une science du bas de page parfaitement maîtrisée et un décalage entre le texte et le dessin qui confine souvent à l’humour noir, on peut dire que c’est du grand art !


Tragique, sombre, effrayant, Des soldats d’honneur est incontestablement l’un des grands chefs d’œuvre de la série. Une vraie perle noire qui démontre tout le potentiel et l’originalité de cette série.

_minot_
10
Écrit par

Créée

le 22 mars 2021

Critique lue 387 fois

1 j'aime

_minot_

Écrit par

Critique lue 387 fois

1

D'autres avis sur Des soldats d'honneur - Donjon Monsters, tome 10

Du même critique