De nos jours on ne présente plus Berserk ; pour ceux qui s’intéressent de près comme de loin à la bande dessinée japonaise, désormais reconnue par tous, le manga de Kentaro Miura y figure comme un classique-incontournable de ce milieu.


La première chose que l'on relèvera de l’œuvre du mangaka est son avertissement annoncé dès sa couverture «pour lecteurs avertis» présage d'une brutalité ambiante au récit. Augure qui se confirmera dès les premières pages(20-30 premières), Miura ne perd pas de temps à nous expliquer son histoire, il choisira en effet de nous exposer son univers de la façon la plus primaire possible, la sexualité et la nudité. Acte qui véhiculera tout le contraire de sa signification originelle d'amour et de procréation, ici il est synonyme de vulnérabilité et de mort, nous faisant comprendre que la joie n'a pas de place dans le récit de notre héros.


Ce qui frappe également le lecteur c'est la qualité de ces dessins tous plus détaillés et soignés les uns que les autres, le travail sur l'ombre notamment, celle des visages accentuant le ton sombre que veut prendre l’œuvre. Ils permettront d'exprimer toute cette violence d'une extrême crudité et cette noirceur omniprésente. Les doubles pages sont d'ailleurs extrêmement plaisantes utilisant parfaitement la disproportionnalité de certains éléments ou personnages(l'épée de Guts, démons) rendant les combats plus épiques visuellement.


Sur son fond Miura nous dépeint un univers ultraviolent complètement déshumanisé voire diabolisé où règne une atmosphère d'apocalypse avant l'heure. Guts illustre très bien cette idée, se posant en anti-héros il nous est présenté comme étant un guerrier redoutable laissant derrière lui nulle autre chose que la mort. Véritable machine à tuer il est aguerri ; son corps endurci, ses cicatrices, c'est un borgne au bras mécanique(lui servant d’arbalète), une épée démesurément trop grande pour lui. Tout ceci nous laisse percevoir qu'il a déjà vécu bien des épreuves, surnaturellement fort il combat monstres et humains avec une agressivité déconcertante, il paraît presque immortel mais surtout démoniaque, ses sourires sadiques lorsqu'il fait souffrir ses ennemis, son visage masqué d'un teint très sombre, un regard noir laissant apercevoir une antipathie totale. En loup solitaire Guts marche à l'ombre se fondant parfaitement dans son environnement sombre et belliqueux, entre brutalité physique et morale, le Berserk est guidé par un sentiment vengeur laissant derrière lui un déluge de sang et une montagne de cadavres.


Car c'est de cette manière que nous sommes introduits dans le récit, sa quête n'est d'ailleurs pas explicitement dévoilée, Guts est rempli de haine, il semble être sur le chemin de la vengeance où ce qui semble en être à l'origine le poursuit le mal. Nous ne saisissons par encore le Pourquoi du Comment renforçant le côté mystérieux et mystique une chose qui dépasse notre personnage, une fatalité. Emprisonné par une marque dont la provenance n'est pas encore spécifiée Guts semble impuissant, son destin scellé par celle ci le laissant dans un monde où il ne connaît que la douleur, tristesse et la guerre, maudit il apparaît condamné au malheur éternel. Il aspirerait alors simplement à la liberté et au bonheur de la tranquillité, lui étant si tourmenté et oppressé par ces ennemis.


Tout ceci est d'ailleurs très bien mis en scène, il y a ce sentiment constant d’être observé, plusieurs fois dans le tome apparaissent de simples yeux dans l'obscurité traquant sans relâche notre héros, s'invitant même dans son sommeil, ses peurs, le mal l'accule et l'entoure ne lui laissant pour unique choix l'affrontement.


Je veux d'ailleurs relever une case qui m'a vraiment plu se trouvant à la page 180 pour ceux qui auraient le tome pas très loin. La case en question est celle de Guts courant dans une ruelle fuyant les gardes. Je trouve cette scène particulièrement efficace et tristement belle car elle reflète parfaitement le ton fataliste et pessimiste que prend comme atmosphère ce premier tome. Guts est dans une impasse symbolisée par une sorte d'entrée voutée donnant sur lui et une ruelle trop étroite et sombre pour y accéder. Le travail sur l'ombre et la noirceur évoqué plus haut est parfaitement caractérisé par cette scène, l'ombre projetée en opposition, dans le chemin-tunnel, inversée à la course de Guts laisse supposer que peu importe que Guts avance ou fasse demi-tour il n'y a pas d'issus, devant comme derrière se trouvent le malheur, la tristesse et la violence(encore le sentiment d'accablement). Et la case qui suit...ce regard vide comprenant ce qui l'attend, Guts fait face à quelque chose qui le dépasse, une divinité. Thème extrêmement présent, d'autant plus avec cette histoire des 5 "god hand".


Il est encore tôt pour le voir comme un véritable problème mais le personnage de Puck m'a particulièrement agacé. Arrivant au moment opportun (facilités scénaristiques) combinant un humour complètement décalé avec le ton que prend Berserk et commentant tout ce que fait Guts ("Attention derrière toi !") en combat, il m'a paru particulièrement agaçant. Bien qu'utile à l'intrigue étant la faiblesse et la lumière dans un monde dénué de toute lueur symbolisé par Guts. L'idée développée n'est pas inintéressante mais pour le moment à l'état d'embryon. Il aura cependant une réplique très juste «C'est donc ça ton univers Guts» illustrant l'incompatibilité de ces deux êtres, et la souffrance et l'absence d'échappatoire, le perpétuel combat contre son destin pour notre héros.


Malgré un certain cynisme Guts ne semble pas résigné, bien au contraire il hurle sa rage dans un monde cruel où seuls les plus forts survivent. Dans sa résilience il avance et poursuit son objectif ayant même délaissé son humanité pour accomplir sa vengeance et se libérer du mal qui ne le quitte pas.


Fresque cauchemardesque, le premier tome de Berserk réussit à captiver le lecteur par son univers moyenâgeux de dark fantasy sublimé par des dessins magnifiques, par son personnage principal ainsi que sa violence viscérale et son intrigue voilée de mystères et d'enjeux sous jacents.

FearTheDeer
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le 19 oct. 2023

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Fear_The_Deer

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