Tranches de vie, tome 2
7.3
Tranches de vie, tome 2

BD franco-belge de Gérard Lauzier (1976)

Relire les tranches de vie de nos jours est presqu'un acte politique... presque, je précise. Lauzier lui-même serait probablement horrifié de m'entendre dire ça, lui dont le but a toujours été de rester apolitique dans un monde sur-politisé.

Dans le temps on appelait ça être réac. Il n'était pas Wolinski, il n'était pas même Cabu. Pas de volonté politique, pas de message, juste cette volonté de ne s'engager pour rien ou personne et de se moquer de tout et tout le monde: gauchistes caviar, artistes branleurs d'égo, anti-psychiatres deleuziens, anciens combattants, chinois, nègres, ratons (à une époque où on pouvait encore dire ce genre de mots), parisiens, provinciaux, hippies qui font leur retour à la terre, et même dessinateurs de bds, tous bazardés pèle-mèle dans le même panier, celui des faux-culs, Lauzier ne leur fait pas de cadeau, ils sont tous lâches, obsédés sexuels, hypocrites et vaniteux. Oui, Il n'était là pour personne, non il n'y a pas de salut à chercher chez Lauzier, son attitude est à deux doigts du nihilisme. Et en 1976 ça pouvait passer pour le top du branchouille, elles étaient déjà loin les golden sixties, c'était crise pétrolière, récession et Giscard au menu. Les rêves communistes et hippies cédaient au disco et à la révolution iranienne... autre temps... Par contre pour notre époque dépolitisée, notre cynisme affairiste tout ça n'a plus le moindre originalité. On en est bien convaincu, allez, que tous ces rêves d'un autre temps devaient faire place à la dure réalité de la froideur du monde et de l'économie reaganienne. De qui parle même Lauzier? Qui sont ces gens? Ces dinosaures? Ces fossiles? Des gauchistes? Des communistes? Des artistes engagés? Ça existe encore, ça?

Pourtant, doit-on seulement se souvenir de Lauzier comme du fossoyeur des rêves hérités du baby boom? Je n'arrive pas vraiment à m'y résoudre. Son cynisme est absolu, sa dérision omniprésente, souvent méchante. Mais c'est elle qui fait que quelque chose se passe encore qui n'est pas juste l'acquiescement au fait que la fête est finie. Sa dérision est celle que quelqu'un qui en a encore quelque chose à foutre, qui a encore peut-être la force de s'indigner. C'est un vernis fin, mais qui fait toute la différence. De nos jours, nous n'arrivons même plus à être désillusionnés, les illusions nous paraissent trop lointaine, trop irréelle. Du temps des tranches de vie, elles vivaient encore, même si très faiblement. Et tâter après leur pouls c'était encore un peu les maintenir en vie.

Et si ça c'est pas un acte politique...

PS: Wolinski et Cabu morts assassinés? Si vieux? Peut-être sont-ce ces illusions qu'on a voulu euthanasier? En tout cas c'est le deuil que je veux porter.
Listening_Wind
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le 11 janv. 2015

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