Polly
Polly

Comics de Cliff Sterrett (1980)

Dans l’effervescence du paysage éditorial de la bande-dessinée au sein des tumultueuses années 1970, la naissance de la maison d’édition Futuropolis en 1974 est une des principales dates clés de cette décennie.

Ambitieuse, la maison d’édition qui était auparavant une des premières librairies de bandes dessinées de Paris veut donner à l’artiste de bande dessinée la place qu’il mérite, un véritable statut et non plus une profession mal reconnue.

Futuropolis va ainsi éditer de nombreux auteurs contemporains majeurs (Florence Cestac, Crumb, Enki Bilal, Tardi, Martin Veyron, Charlie Schlingo, etc.) mais aussi procéder à un vaste travail de réeditions et même d’éditions jamais sorties en France. Démontrant ainsi que si la BD est un Art elle est aussi un patrimoine, qu’il importe de faire connaître.

Dans sa mythique collection Copyright Futuropolis a ainsi réedité des classiques de la BD franco-belge (Le Professeur Nimbus d’André Daix, Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan, Moustache et Trotinnette de Calvo, etc.) mais a aussi édité un certain nombre de comic-strips anglosaxons qui paraissaient alors dans les journaux. Ces albums sont ainsi reconnaissables à la maquette et leur format à l’italienne, c’est à dire à l’horizontale, permettant de ne pas écraser les dessins dans un format clasique. Parmi les noms les plus connus figurent ainsi les aventures du Phantome, de Mandrake, de Flash Gordon, de Popeye, de Betty Boop, de Dick Tracy et de bien d’autres encore.

Parmi d’autres œuvres plus méconnues a ainsi été publié ce tome unique de Polly, proposant des strips parus quotidiennement entre 1926 et 1927 et les histoires en une page des éditions domanicales entre 1927 et 1933.

Les histoires du dimanche sont indépendantes, tandis que celles quotidiennes suivent le plus souvent une vague trame. Il est d’ailleurs curieux de commencer la lecture avec un strip qui s’inscrit dans une histoire générale, sans avoir les précédents. Mais le train se prend en marche assez facilement.

Polly est une série de bandes dessinées crée par Cliff Sterett (1883-1964) et lancée en 1912 (elle s’achèvera en 1958, avec d’autres auteurs). La bande a donc une quinzaine d’années d’existence quand cet album de Futuropolis nous la présente. On peut donc supposer que ce choix s’explique par sa vitesse de croisière atteinte.

La bande est intitulée Polly, du nom d’une jeune fille, assez belle, qui ne manque pas de prétendants qu’elle reçoit chez elle. Elle est le seul personnage régulier dessiné de manière assez réaliste, n’hésitant pas à mettre en avant son allure gracile et ses longues jambes, dans les limites de la censure de l’époque. Mais elle n’est pas ou plus le personnage principal. Car Polly est une jeune fille d’une famille assez aisée, les Perkins, dont les deux principaux représentants sont ses parents, bien plus âgés, tous deux avec leurs forts caractères. Il y a ainsi Maw, la mère, maîtresse de maison au grand coeur mais surtout Paw. Le paternel est une tête de mule, de mauvaise foi, un grand grincheux, mais qui apprécie malgré tout sa famille. On devine qu'il est surtout gaga de Kitty, le chat de la maison, qui l’accompagne partout et dont les réactions sont un amusant miroir félin de ses propres émotions. D’autres personnes sont encore présentes, dont des membres de la famille un peu pique-assiette.

Au fil des pages quotidiennes, les parents vont ainsi s’immiscer dans les relations amoureuses de leur fille, voyant d’un mauvais œil le dernier prétendant, tandis que plus tard la famille va faire bloc pour que le paternel aille voir un médecin pour qu’il lui enlève les amygdales. Par la suite les gags en une bande seront plus autonomes, sur le même modèle que ceux en une planche, mettant à profit la large galerie de personnages de la série, même si Paw n’est jamais loin. La place supplémentaire profite à Cliff Sterrett qui s’amuse plus souvent de l’espace pour créer des histoires drôles sans texte, ne fonctionnant que grâce à l’image.

Il ne faudrait pour autant pas croire que les dialogues sont le point faible de la série, il y a des échanges entre les personnages assez réussis, grâce à leurs personnalités bien définies et un certain sens de la réplique. L’humour fonctionne ainsi sur plusieurs tableaux, au profit de cette famille assez soudée mais aux affinités parfois élastiques, selon les besoins. Paw n’est d’ailleurs jamais bien loin pour remettre un des personnages à sa place, tandis que son habituelle bougonnerie en ferait presque un anti-héros, bien loin d’être un modèle à suivre. Le ton de Polly est ainsi justement placé, entre un humour parfois plus direct parfois plus tendre, assez loin d’une naïveté parfois consensuelle d’autres planches de l’époque.

Une autre des qualités de la création de Cliff Sterett est l’évident coup de pinceau de son auteur. S’il adopte un trait assez cartoon pour ses personnages tels que Paw ou Maw, aux carrures ramassés et aux expressions exagérées, il a néanmoins une manière bien à lui d’en présenter les mouvements d’une manière assez élastique, aux proportions légèrement altérées. Il a aussi et surtout une élégante proposition dans la construction de ses décors, bien loin de la réalité avec des perspectives peu orthodoxes ou des éléments aux contours courbés.

Les exégètes ont parfois comparé son travail aux avant-gardes artistiques et à l’expressionnisme de ces années. Et sans lui reconnaître la place d’un grand maître, Cliff Sterrett est bien de ces dessinateurs qui s’amusent avec les possibilités du média, en tentant de nouvelles idées. D’ailleurs, la présence du chat Kitty dans de nombreuses cases permet à l’auteur de proposer un niveau de lecture comique supplémentaire, qui annonce la célèbre coccinelle de Gotlib.

Introduit par un texte de François Corteggiani, cet album de Futuropolis permet donc de découvrir une œuvre assez mal connue, surtout de ce côté de l’Atlantique, et la découverte est plaisante. Hormis les premières pages un peu poussives, on ne peut que s’amuser devant cette famille aux individualités prononcées, dont l’excellent Paw. Le talent de Cliff Sterrett dans sa manière de mettre en scène ses personnages permettent à l’oeuvre d’être un peu plus qu’une sympathique série comique et de mériter sa petite réputation.

Polly reste malgré tout une série quasiment inconnue chez nous. Un album publié chez L’An 2 en 2005 complète celui-ci de Futuropolis, en proposant les planches publiées entre 1929 et 1930. Mais les deux sont bien difficiles à trouver, bon courage aux amateurs.

SimplySmackkk
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le 16 mai 2023

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