A mon époque, les enfants, pour relire des séries cultes des maîtres Marvel ou DC il fallait du courage et du temps pour retrouver les épisodes recherchés dans les vide-greniers, les salons spécialisés ou chez les bouquinistes. Il ne fallait pas avoir peur de se baisser, de bien fouiller, parfois d’affronter les poussières incrustées, pour trouver les perles tant espérées. Internet était rudimentaire et surtout, surtout, à l’époque on ne réeditait rien ou presque.


Quel bonheur aujourd’hui de voir que le curieux n’a que l’embarras du choix pour retrouver les séries les plus classiques, fréquemment ressortis dans des éditions bienvenues ou plus farfelues, à prix luxueux ou dans des gammes plus abordables, mais aussi d'enfin faire la connaissance d'oeuvres phares qui n'avaient jamais été éditées auparavant. Se faire une culture des comics reste bien plus facile et abordable qu’auparavant. Ce n’est plus mal vu de vouloir découvrir ce qui a pu se faire avant. Tant mieux.


Et si on peut ronchonner devant les mêmes histoires sans cesse reprises (hein Batou?) il faut remercier la vitalité du marché, qui permet de proposer des histoires méconnues voire inédites par chez nous. Différents éditeurs occupent le créneau, mais il faut reconnaître à l’éditeur officiel de Marvel par chez nous une certaine audace qui a permis ces dernières années de (re)découvrir les méconnues mais réussies histoires de Killraven, Deathlock ou The Squadron Supreme (à ne pas manquer !) parmi l’impressionnant arrière-pan de héros méconnus de l’écurie de Spider-Man.


Avec Marvel Rarities : 1961-1971 l’ouvrage porte bien son nom, il y sera question de raretés crées par la compagnie au sein de son âge d’or, et même pour certaines avant le début du succès avec les premiers représentants officiels, les Quatre Fantastiques. Il n’y est pas question de fonds de tiroir, puisqu’on y retrouve les grands auteurs de l’époque : Stan Lee of course, mais aussi Jack Kirby, Wally Wood, Gene Colan, George Tuska, Steve Ditko, même si les ambitions ne sont pas les mêmes que ceux des séries amirales. Certains auteurs de la compagnie pouvaient être conviés pour quelques épisodes, pour mieux repartir pour une autre série ensuite. Et en dehors de ces quelques grands noms on peut trouver aussi des scénaristes ou dessinateurs moins expérimentés, mais qui peuvent se révéler de bonnes surprises sur les quelques épisodes où ils sont aux affaires.


L’ouvrage est un peu fourre-tout, rassemblant des épisodes voire du contenu des numéros des séries anthologique ou thématiques Amazing Adventures, Tales of Suspense, Silver Surfer, Marvel Super-Heroes ou Astonishing Tales. Trois figures en sont tout de même les points de repère, avec le Dr Droom, détective et aventurier mystique qui a fort à affaire avec les affaires surnaturelles, criminelles ou science-fictionnelles qui se présentent à lui. Un héros ambigu mais aussi mal défini, qui inspirera pourtant le Dr Strange par la suite. Stan Lee et Jack Kirby sont aux commandes, quelques mois avant que leur Quatre Fantastiques soit le succès bien connu de cette année pilote qu’est 1961.


La majeure partie de l’ouvrage se consacre ensuite au Gardien, ce célèbre observateur de la Terre omniscient mais qui a fait vœu de ne pas intervenir dans les affaires terrestres ou de n’importe quelle autre planète. Le Gardien, en bon père Castor à la tête bien remplie est alors le narrateur de différentes histoires aux tonalités science-fictionnelles, bien loin des collants super-héroïques. Quelques petites perles aux reflets de nuances grises sont ici présentes, dont la chute et la morale rappellent bien des films de science-fiction des années 1950 autour de la tolérance et de la vanité des êtres, qu’ils soient d’ailleurs ou pas, pour mieux refléter un portrait évidemment plus acerbe de notre condition humaine. Ces histoires, sans lien entre elles le plus souvent, ont été dispersées dans plusieurs revues, de nombreux artistes s’y sont essayées, le plus souvent avec une certaine efficacité. Aux scénarios, on y retrouve l’homme-orchestre Stan Lee parfois accompagné de son frère cadet Larry Lieber qui gardera le volant comme un grand à d’autres occasions, permettant d’offrir d’excellentes idées empreintes de tolérance voire plus critiques sur la société de l’époque.


Pour la dernière série présente, nous retrouvons une figure bien connue, celle du Dr Fatalis, en héros de ses propres aventures, 8 ans après ses premiers pas. Le despote de la Latvérie est maintenant une figure incontournable de l’univers Marvel qui lui confie donc ses propres histoires, en partageant le sommaire de Astonishing Tales avec Ka-Zar (non présent ici, dommage). La difficulté étant tout de même de ne pas dénaturer le personnage, qui n’est pas connu pour son altruisme, et d’en faire la figure centrale, à défaut d’être un héros. Les scénaristes présents (Roy Thomas, Stan Lee, Larry Lieber et Gerry Conway, tout le monde y passe) font ce qu’ils peuvent, avec quelques écarts ou abandons de trames quand untel reprend le titre, mais de bons épisodes sont présents où le dictateur devra faire face à une révolution, reprendre le trône face à l’autre grand méchant, Crâne rouge, ou faire entendre ses revendications face à la Panthère noire, introduisant une rivalité mais aussi un respect qui sera repris par d’autres artistes plus tard. Le dernier épisode, illustré de main de maître par Gene Colan reprend la quête tragique de Fatalis pour sauver l’âme de sa mère. En dehors d’une certaine inconstance générale, il faut tout de même reconnaître à la série qu’elle arrive à utiliser le contexte du personnage et sa personnalité de bien belle manière, offrant au grand méchant une évidente ambition maléfique mais tout de même une certaine noblesse, quoique fragile.


Avec tous ces épisodes, l’ouvrage est déjà bien complet et permet de découvrir des pans moins connus de la production éditoriale de Marvel, pourtant assurés par les grands noms habituels. Avec des optiques un peu plus différentes que le triomphe du bien sur le mal, avec notamment les histoires plus morales et science-fictionnelles du Gardien, tandis que le Dr Droom et Fatalis apportent aussi leur propre personnalité plus ambiguë. Et il y aurait de quoi se réjouir en tant que lecteur curieux, mais l’ouvrage se termine en beauté, avec des dizaines de pages de matériel bonus et annexes.


On y découvre ainsi une histoire inédite de Starhawk, personnage oublié, quelques pages coupées avant l’édition, du rédactionnel autour des personnages Marvel de l’époque mais aussi des illustrations inédites signées par quelques artistes, notamment utilisées pour le merchandising de ces années ou pour annoncer de nouvelles séries. Toutes ces curiosités sorties des archives permettent d’appréhender comment le mythe Marvel s’est crée, par une proximité évidente avec ses lecteurs, comme le célèbre club de la « Merry Marvel Marching Society » qui offrait de nombreux avantages mais aussi des bulletins spécifiques ici retranscrits (attention, c’est en anglais), dont on retrouve bien le style gouailleur de l’époque (probablement de Stan Lee). Un bien beau coffre aux trésors qui illustre bien la relation que Marvel tentait de créer à l’époque avec ses lecteurs, qui lui rendront bien.


Bien sûr, tout ceci a le charme de l’ancien, d’une certaine narration et de styles graphiques passés mais qu’il n’est pas interdit de découvrir, bien au contraire. Pour le lecteur français et pour le curieux, c’est tout de même une belle portion d’un Marvel méconnu ici dont seuls quelques épisodes avaient été édités (et encore, il y a quelques décennies). Une page d’histoire de la compagnie, à l’ombre des grands héros.

SimplySmackkk
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le 13 déc. 2022

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