Yol
6.9
Yol

Album de Altın Gün (2021)

La route vers le Palais de la sagesse

“Il y a des choses qu’on connaît, d’autres qu’on ne connaît pas et entre les deux il y a des portes”, voilà comment Altin Gün justifiait leur premier opus On. Cette citation on ne peut plus vraie de William Blake en l’occurrence résumait avec brio l’ouverture de genre connus de tous (le rock, la funk, la folk) avec des sonorités malheureusement trop peu populaires dans la musique occidentale (turques principalement, mais aussi indonésiennes et néerlandaises, forcément). Paru en 2018, à une ère où le rock-funk rétro était bien ancré dans les charts, le sextuor d’Amsterdam tirait donc son épingle du jeu avec un exotisme savamment dilué pour attirer le chaland sans jamais verser dans le cliché.


Auréolé de succès, le groupe revient donc l’année suivante avec Gece (Nuit), une nomination aux Grammys et une très bonne tournée. Album de la continuité, Gece reste toujours emprunt d’influences orientales alors que paradoxalement comme le groupe aime à le clamer, seulement un des six membres est originaires de Turquie. Faisant fi de toute légitimité, le groupe plonge tout entier dans la musique traditionnelle des années 60 et 70 pour en retirer les plus belles sonorités, tout en tentant déjà quelques exercices de style comme Şoför Bey par exemple et son rythme effréné sur une instrumentation épurée.


Qu’attendre donc alors d’un groupe connu pour sa sonorité si particulière et qui revient à la charge pour la troisième année de suite avec un nouvel album.
Si On était une porte vers l’ailleurs, Yol est un pont. Un titre toujours aussi court mais évocateur, qu’on peut traduire par Route et qui fait non plus la passerelle entre les territoires mais plus encore entre les époques. Les synthés se font plus lourds, les sonorités dans leur ensembles plus électroniques et un ton radicalement différent dès le véritable premier morceau une fois passé l’intro, l’excellent et sombre Ordunun Dereleri (Ruisseaux de l’armée). Dès lors un constat se fait, il nous faut un peu oublier les mélodies microtonales et le saz omniprésent pour s’imprégner pleinement de ce troisième disque. Seul véritable point d’attache au reste de la discographie, la langue turc et des chants toujours aussi enchanteurs que ce soit de la part de Erdinç Ecevit Yıldı**z ou de **Merve Dasdemi.


Si le très bon Bulunur Mu (Disponible) poursuit une exploration très pop de la décennie 80, on revient tout de même en terrain inconnu avec le morceau suivant Hey Nari. Tout n’est donc pas perdu et les fans de la première heure retrouveront leur zone de confort. Yol est donc une transition vers de nouvelles envies pour Altin Gün, le groupe s’affranchit tout doucement des étiquettes qui ont plus lui coller à la peau tout en conservant une certaine nostalgie qu’il est difficile de détester.


Ironiquement les morceaux qui peuvent alors paraître les plus faibles sont ceux restant le plus dans le style des deux précédentes moutures. Sans aller jusqu’à l’usure des titres comme *Sevda Olmasaydı (*S’il n’y avait pas d’amour) ou Kara Toprak (Sol noir) surprennent moins, rendant ainsi la seconde partie de l’album plus redondante. Même chose pour Yekte (En réserve) avec néanmoins cette surprenante reprise en fin de morceau, surprise agréable et qui signifie bien la volonté d’expérimenter du groupe, ce qui n’est jamais une mauvaise chose en musique.


Alors à l’image de la conclusion Esmerim Güzelim (Ma beauté brune), Yol est-il vraiment le pont vers une révolution ? La ressemblance entre les pochettes d’illustration avec Gece (de Marina Tadic) peuvent attester que non. Les multiples lunes deviennent des soleils irradiants et le groupe se permet simplement d’ouvrir ses horizons sans trahir son identité qui l’a fait connaître et apprécier des mélomanes et du grand public. Si le chanteur Merve Dasdemir affirme avec humour qu’ils sont peut être allés trop loin à coup de boîte à rythmes il faut aussi reconnaître que le voyage est enchanteur et que les nouvelles sonorités qu’elles soient brésiliennes ou même reggae pimentent l’écoute. On ne peut bouder son plaisir même face aux chansons les plus paresseuses tant l’exercice de style est toujours maitrisé, et à voir le groupe s’amuser – encore timidement mais tout de même – dans des clips comme Yüce Dağ Başında (Sur le sommet de la montagne suprême) on se dit que la bonne humeur est véritablement contagieuse.

Kaptain-Kharma
7
Écrit par

Créée

le 1 mars 2021

Critique lue 290 fois

7 j'aime

Kaptain-Kharma

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