Ce soir une franchise californienne tentera de défendre son titre NBA à domicile, lors d’un très attendu game 7 face aux Cavs de Cleveland. Presque rien de nouveau sous le soleil de la west coast, à ceci près que le match ne se jouera pas au Staples Center comme à l’heure de gloire de Magic ou Kobe, mais à l’Oracle Arena d’Oakland, et que ce ne sont donc plus les Lakers au rendez-vous des Finales mais bien les Warriors de Golden State. Les voisins de LA eux, sont abonnés au tanking depuis quelques saisons et espèrent le choix de draft qui les fera retrouver les sommets. Pas suffisant pour décourager les fans invétérés parmi lesquels on retrouve Jack Nicholson, Leonardo Di Caprio et… oh tiens, les Red Hot. Et quand Flea ne massacre pas l’hymne américain sur le parquet du Staples, il lui arrive de retrouver ses bandmates de toujours pour enregistrer une nouvelle galette, une fois tous les 4-5 ans.


De toujours, enfin presque. On ne va pas revenir dessus, John Frusciante est bel et bien parti, et tous les hashtags du monde n’y changeront rien. Il s’épanouit maintenant loin des stades et des disques d’or, mettant ses talents au service de la musique électronique – pour l’instant du moins. Après un disque de transition où il s’était fait tout petit dans les imposantes bottes de son aîné, Josh Klinghoffer est maintenant l’indéboulonnable guitariste des Red Hot, aussi ironique que cette expression puisse être. Voilà un premier enjeu de ce 11e (!) album studio : The Getaway se devait d’être le disque de l’affirmation pour le très talentueux mais très timide Klinghoffer. Mais il n’est pas le seul « nouveau » à bord : les Peppers ont envoyé bouler leur producteur de (presque) toujours, Rick Rubin, aux manettes depuis l’iconique Blood Sugar Sex Magik (1991). Rubin out, Brian Burton in. Celui qui se fait appeler Danger Mouse débarque avec un CV bardé de références dans l’univers pop-rock, avec entre autres des collaborations avec U2, Adele, les Black Keys ou Broken Bells.


Danger Mouse arrive surtout avec d’autres méthodes de travail, à l’impact considérable sur l’album dont il pilote la confection. C’est ainsi que la bande à Kiedis aura composé au moins une partie de ce nouveau disque directement en studio, sous la houlette de Magic Brian. Le groupe arrive avec un jam ? Poubelle. Anthony se fend d’un chorus pour leur dernière compo ? Meh, pas convaincu le Brian. Try again, Ant. Une immense remise en question pour un groupe qui n’a plus rien à prouver, et un ultime challenge qui peut donner un intérêt tout particulier à ce 11e (bordel !) skeud. Si les étoiles s’alignent, l’output peut être formidable de spontanéité, de fraîcheur, et c’est finalement tout l’enjeu de The Getaway : les Red Hot arriveront-ils à apporter une réelle nouveauté à leur imposant répertoire, ou se prendront-ils les pieds dans le tapis avec un disque anecdotique ?


Je n’ai pas l’habitude d’écrire mes critiques à la première personne, mais j’ai du mal à me lancer autrement pour celle-ci. Les Red Hot et moi, c’est trop personnel. On va planter le décor : je suis un immense fan depuis mes 14 ans, où je découvrais timidement la musique en même temps que les Californiens sortaient l’incroyable Stadium Arcadium, qui fait d’ailleurs l’objet d’un désamour assez incompréhensible… Mais ce n’est pas le lieu pour en parler (là, à la rigueur). Aujourd’hui, j’ai bien conscience que les Peppers sont un vieux groupe, dont on ne peut raisonnablement plus attendre de merveilles, et je ne faisais pas trop d’illusions pour ce Getaway. Trois ou quatre bons titres et le contrat était rempli, et ma satisfaction comble. I’m With You s’en était finalement très bien tiré dans cet exercice, et la question allait être de savoir si cette mouture 2016 allait réussir elle aussi à envoyer une ou deux tracks au Panthéon des kids de LA. Et comment dire…



« Je ne m’attendais à rien, et je suis quand même déçu »



Je suis même dégoûté. Je n’ai même pas envie de m’essayer à une analyse piste par piste comme j’ai l’habitude de le faire, tant cet album est vide ; vide d’énergie, de personnalité et de mélodie. Ce serait tirer sur l’ambulance. Les premiers singles m’avaient sérieusement refroidi, congelé : si le côté minimaliste du single titre et la bassline de supermarché de Dark Necessities font votre bonheur, grand bien vous en fasse, ce n’est pas mon cas. J’espérais que le reste de la tracklist apporte de nouvelles idées, des mélodies entraînantes, un Josh libéré, un bon cocktail pour faire exploser ma playlist de l’été 2016. Mais c’était couru d’avance : que dire si ce n’est de l’ambition, au moins du message d’un album qui fait de The Getaway son opener, et un de ses lead singles ? Une musique d’ascenseur bonne à ambiancer les soirées posées pour pas déranger les copains, mais qui fait pâle figure – c’est un euphémisme – à côté de Monarchy of Roses pour ne citer qu’elle. Le premier constat sur ce nouvel opus, c’est que même le tant décrié I’m With You le renvoie bien profond dans ses 22, à tous les niveaux. Seule la très moyenne Dark Necessities propose un hook un tant soit peu accrocheur, vite ruiné par un pont désastreux au piano. J’espérais une petite sœur à la sautillante Ethiopia, une chanson de la trempe de l’excellente Even You Brutus?, ne serait-ce que pour assurer la crédibilité de cette suite : je tombe de haut.


Sur qui rejeter la faute ? Danger Mouse est la cible facile, et c’est toujours plus simple de taper sur le méchant producteur. Mis à part son travail sur la voix, je ne suis pas particulièrement gêné par ses choix de prod, et rien ne dit qu’il y soit principalement responsable dans tous les cas. Ceci étant, son apparente intrusion dans le processus créatif est, au bas mot, un échec cuisant. Si The Getaway se voulait plus pop, plus catchy, c’est raté sur toute la ligne : pas un seul refrain ne reste en tête, et aucun chanson ne procure ne serait-ce qu’un sentiment compulsif d’exploser le bouton repeat. Cet album ne raconte rien, et pour moi Anthony Kiedis y est pour beaucoup. Ses mélodies sont vues et revues, ses lyrics tristement prévisibles ; certaines inspirations relèvent du facepalm (Goodbye Angels, Go Robot). Après 33 ans de carrière, il semble que le noyau dur du groupe soit en perdition artistique, à l’image des lignes de basse inhabituellement fades. Flea, qui affirmait il y a quelques semaines incarner avec les RHCP l’un des derniers représentants d’un rock’n’roll cliniquement mort, ne parvient plus à redonner vie aux compositions derrière sa nouvelle Fender argentée. Beaucoup de lignes se résument à de la fondamentale à peine agrémentée, et les saillies en slap passent pour du fan-service peu cohérent.


Josh Klinghoffer pose également sérieusement question, lui qui devait s’affirmer comme le réel leader mélodique du groupe avec un I’m With You en demi-teinte d’un point de vue guitare. À l’arrivée, il passe plus pour un guitariste rythmique, balançant ses grooves bardés d’effets depuis le fond de la scène ; ses riffs sont manquent cruellement de folie, et son rôle est comparable à celui du piano, instrument d’agrément sur l’album – quelle tristesse ! Cela relance le débat stérile mais inévitable sur l’héritage de John Frusciante, dont l’absence se fait plus pesante que jamais à l’écoute de certains arrangements (Go Robot) ou mélodies de guitare tellement simplistes qu’elles semblent sorties d’un soundcheck (We Turn Red). Connaissant l’habileté technique de Josh et son talent évident mis en œuvre sur de nombreux projets précédents (Bicycle Thief, Dot Hacker, Ataxia), un tel fiasco est évidemment triste, mais on peut se poser la question de sa faculté à être le vrai catalyseur d’un super-groupe comme les Red Hot Chili Peppers. La marche était peut-être trop haute.


The Getaway renferme quelques bonnes idées mais elles sont distillées bien trop sporadiquement. On retiendra la fin frénétique de Goodbye Angels, ou la correcte Detroit, qui avec This Ticonderoga vient tenter de sauver une tracklist désespérément fade. Si elle est pour moi sans conteste la meilleure de ce nouvel album, elle n’arrive pas à la cheville des réussites de I’m With You (pour comparer le comparable) et ne suffit certainement pas à s’inscrire parmi le gratin du répertoire des Californiens. Dreams of a Samurai, à la longueur rare chez les Peppers (6 :09), est trop quelconque pour une composition de cette ambition, malgré un drum track de haut niveau. L’occasion malheureusement de se demander, au terme de 13 pistes et 54 minutes d’écoute, comment Chad Smith a pu cautionner un pareil effort.


Bilan : 5 ans pour ça. Je n’éprouve absolument aucun plaisir à mettre 2 à un album des Red Hot, ni à torpiller le dernier disque d’un de mes artistes préférés, mais The Getaway n’offre absolument rien de novateur et pour un groupe de cette trempe, l’anecdotique est hélas prohibé. Pas une chanson ne mérite sa place dans un best-of du groupe. La comparaison avec I’m With You, et a fortiori Stadium Arcadium, est douloureuse ; même si personne n’attendait le successeur de Blood Sugar Sex Magik… Que l’on soit bien clair : on ne reprochera jamais à un groupe de vouloir se renouveler, tenter des choses, remplacer des membres pour continuer de vivre – ou de survivre. Mais The Getaway n’a même pas le mérite de l’innovation, pas une seconde on ne sort de la zone de confort établie depuis le début des années 2000, et tout sonne au mieux comme une maladroite redite.


Malgré tout cela, les Red Hot restent évidemment un des meilleurs groupes qu’il m’ait été donné de connaître, et cet écart ne change rien à l’affection que je porte pour le reste de leur discographie. Ils ont été un groupe essentiel des années 90/2000, porté tour à tour par des musiciens de génie, parmi les plus doués de leur génération si l’on en croit certains observateurs privilégiés comme Andrew Scheps pour ne citer que lui. Mais c’est terminé. Il faut se rendre à l’évidence, les Red Hot n’ont pas survécu au départ de Frusciante, et The Getaway est l’image de leur dérive actuelle. A l’instar des dernières saisons d’un #24 qu’ils connaissent bien, ce dernier (?) album ne fait pas honneur à leur talent, et on préférera se remémorer leur glorieux passé plutôt que cette triste sortie par la petite porte ; car au moment de dire adieu, il ne faut jamais oublier de se retourner.



« Adios rock band that we loved the most
This is a toast to what you did
And all that you were fighting for
Who could do more when
Time marches on, words come and go
We will sing the melodies that you did long ago »
- R.C.


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le 19 juin 2016

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Jambond

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