Head Carrier
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Head Carrier

Album de Pixies (2016)

Que de poids lourds sur les autoroutes musicales en cette année 2016. Des piscines en forme de lune, un iguane dépressif, Ziggy dans les étoiles, une flopée de dinosaures californiens qui se battent (plus ou moins bien) pour fuir l’extinction, des Canadiens bourrés… Pas facile de se faire une place au soleil parmi toutes ces sorties taille mammouth. A moins d’être un des groupes les plus importants de l’histoire.


Petite piqûre de rappel : entre 1988 et 1991, les Pixies sortent quatre albums qui vont à jamais changer la face du monde du rock alternatif. Une tornade aussi brève que violente qui laisse derrière elle deux des disques les plus marquants de cette fin de décennie – Surfer Rosa et Doolittle – et qui inspirera une liste d’artistes et de groupes longues comme le bras, à commencer évidemment par celui de leur groupie n°1, le petit Kurt – rien que ça. Un héritage XXL dû au caractère avant-gardiste de la musique des Pixies, une empreinte de plus en plus difficile à percevoir aujourd’hui tant leurs gimmicks ont été repris et dilués. Rappelons simplement que Cobain lui-même admettait avoir tenté de copier ses idoles de Boston au moment de composer son Smells Like Teen Spirit. No biggie.


Flash. 2014 : la bande à Thompson est de retour après 23 ans de silence. Le magicien de Doolittle, Gil Norton, est toujours là dans le canap’, mais inutile de se leurrer : c’est un autre groupe qui signe le déroutant Indie Cindy. Une part de l’âme des Pixies a foutu le camp en même temps que Kim Deal, et il est bien nécessaire de comprendre ça afin d’appréhender ce disque comeback, comme un demi-frère pour ses illustres aînés. Indie Cindy est bourré de reverb, donnant un rendu éthéré très inhabituel pour le groupe, et beaucoup ne s’y reconnaîtront pas – à juste titre. Il reste qu’une fois le deuil fait, la galette orange renferme de très bonnes idées, cristallisées dans des compositions comme Snakes ou le titre éponyme, mélodiquement plus qu’au niveau.


Après ce retour forcément en demi-teinte, les Pixies remettent donc le couvert en septembre 2016, avec ce Head Carrier porteur d’immenses promesses. Partout sur la toile, on nous annonce le vrai premier disque de ces « nouveaux Pixies », comprendre avec leur nouvelle bassiste à temps plein, l’envoûtante Paz Lenchantin (ex-APC, Zwan). Il est vrai que le groupe semble apaisé, stabilisé, un changement bienvenu après des années de remous entre l’imbuvable Black Francis et l’impétueuse Kim Deal. Selon Joey Santiago, qui n’hésite pas à le comparer à Doolittle, il s’agit d’un vrai retour aux sources.



« This is more Pixies-ish. With ‘Indie Cindy’ we were just trying to get away from what we’d done before and see what comes up. Also Kim left the band. And the first time out you have to explore something. It was either go towards the future or embrace the past and this time we’ve… done both. But sonically we’ve embraced the past. »



Dans les faits, c’est loin d’être aussi évident. Certes, on sent dans Head Carrier une volonté de faire rugir un peu plus les guitares, de redescendre un peu en altitude par rapport à Indie Cindy, direction les racines punk rock du quatuor. Cela dit, le contraste reste vraiment faible, et pas appuyé par la production somme toute bien neutre du producteur anglais Tom Dalgety. Loin de marquer un virage à 180° avec Indie, l’album s’inscrit au contraire plutôt dans sa continuité et la plupart des titres pourraient figurer sur un disque comme sur l’autre sans trop offusquer la cour.


Là où Head Carrier perd énormément de points, c’est sur ses mélodies – précisément le point qui sauvait son prédécesseur, à qui il faut reconnaître une certaine audace sur sa première moitié. En voulant se débarrasser des artifices superflus, ce nouveau Pixies oublie de rester mélodique et sonne au final tristement plat. Un peu le cul entre deux chaises, pas assez brut pour nous rappeler suffisamment les heures de gloire, et pas assez audacieux pour nous emmener vers de nouvelles contrées. Le titre éponyme est un peu à l’image de l’album, plein de bonnes intentions mais un peu timide, et assurément trop juste pour une title track.


C’est d’ailleurs un peu le cas des singles censés porter Head Carrier, et finalement très anecdotiques devant le reste de la discographie des Pixies et même simplement au sein du disque ; à l’exception peut-être de Um Chagga Lagga, qui propose une virée punk frénétique dans l’esprit du Black Cross de 45 Grave. Son pendant, à l’autre extrémité du disque, est la velue Baal’s Back, certainement la plus belle réussite de ce 12 titres. Un Frank Black enfin libéré, qui aboie comme au bon vieux temps, dans un rush acide à la porte du hard rock – qui nous rappelle malheureusement qu’on attendait tout un album de cet acabit, pour finalement devoir composer avec des titres trop timides pour tirer leur épingle du jeu.


L’un d’eux a pourtant une histoire particulière : All I Think About Now est forcément une chanson spéciale, née un peu par accident, d’une mésentente à la suite de laquelle Paz se pointera en répète avec une ligne de basse à côté de la plaque ; qu’à cela ne tienne, elle en fera « sa » chanson, et Frank la convainc de prendre pour la première fois le chant lead. Mais Paz est timide : hors de question qu’elle s’occupe du texte. Frank Black s’en chargera mais à une condition : c’est elle qui choisit le thème. Le thème, ce sera donc Kim Deal.


Les enfants, il est temps que l’on parle de ce sujet dont vous avez probablement déjà entendu parler et dont il ne faut pas avoir peur. Il faut qu’on parle de Where Is My Mind. Le plus gros succès de la carrière du groupe est l’une de ces œuvres qui dépassent complètement le simple statut de chanson, portant un héritage pas loin de devenir incontrôlable pour ses auteurs qui s’en seraient parfois bien passé. Plantée comme un OVNI au milieu de Surfer Rosa, d’apparence bien plus punk, Where Is My Mind jouit pourtant de tout ce qui fait la magie de cet album mythique ; une atmosphère unique dont Steve Albini a le secret, qui commence dès que les premiers coups de snare résonnent, le drum sound signature de ce génie de la production (à ce titre, je recommande à n’importe qui se sentant « saoulé » par cette chanson d’aller la réécouter le volume à fond en n’écoutant que la batterie… généralement ça calme). Ce n’est absolument pas dû au hasard si on retrouve la carte de visite ce titre un peu partout depuis, repris en long en large et en travers par tant de groupes. Là ça va, là c’est flagrant mais ça va, là c’est limite, là c’est chaud.


Qu’est-ce que le tube planétaire des Pixies peut bien venir foutre ici, près de 30 ans après ? Eh bien il se cache, mais bien trop mal, derrière la moindre note de cette neuvième piste de Head Carrier ; à la gâcher complètement. La lettre à Kim Deal tourne à l’hommage mielleux. Les premières mesures ne font absolument pas illusion : Joey Santiago singe le lead de l’hymne de Surfer Rosa, et les « Woohoo » achèvent la caricature. Hélas, le texte de Frank Black fait tout sauf sauver les meubles.



I try to think about tomorrow
But I always think about the past
About the things that didn’t last
If I could go to the beginning
Then for sure I would be another way
Make it better for today
Remember when we were happy?
If I'm late, can I thank you now?
I'm gonna try anyhow
I remember we were happy
That’s all I think about now
- « All I Think About Now»



Voilà tout ce qu’il y a à retenir de Head Carrier, malheureusement pas à la hauteur des espérances placées en lui, lui qui devait remettre tout le monde d’accord après Indie Cindy. Au bout du compte, le mitigé cru 2014 des Bostonians n’est plus si ridicule… Evidemment, si n’importe quel autre groupe sortait ce disque en 2016, l’effort serait sans doute unanimement salué, à juste titre : Head Carrier est loin d’être un mauvais album, il est juste un peu timide, un peu dispensable. Mais pour un des plus grands (le plus grand ?) groupe de rock alternatif de l’histoire, le dispensable ne fait pas partie des habitudes.

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le 26 sept. 2016

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Jambond

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