The Dock of the Bay
8.1
The Dock of the Bay

Compilation de Otis Redding (1968)

Une petite brise légère me caresse la nuque. Je suis réveillé. Normalement, le soleil devrait se lever, mais y'a beaucoup de brouillard par ici depuis un moment. Le soleil est caché. Ain't no sunshine comme dirait Bill.
Je l'ai pas vu depuis des années le soleil, mais peu importe. Depuis longtemps, ce n'est plus sa chaleur qui m'intéresse, ce n'est plus elle qui me réchauffe.


Tout ça a commencé il y a des années. Au moment où j'ai pour la première fois entendu ta voix Otis. L'électrochoc évidemment, comme mettre les doigts dans une prise. La seule différence notable, c'est que l'un peut te tuer, l'autre te fait rêver.
Au final, le même résultat, quoi qu'il en soit tu te retrouves au paradis.


En tout cas, ce fut mon cas. Alors, tu t'imagines bien que j'ai tout cherché, que j'ai tout lu, tout entendu. Je te tutoie Otis, tu m'en voudras pas, j'ai tellement l'impression de te connaître.
Ton ascension fulgurante, passant de reprises géniales de tes idoles, notamment Sam Cooke, à tes propres chansons, l'admiration de tes contemporains, de la presse, de tout le monde... Le génie, tout simplement.


La plus belle voix de tous les temps, peut-être. Évidemment qu'il y a débat, on peut pas oublier les autres. Mais si je devais en garder qu'une, ce serait toi. Pourquoi ? Je sais pas.
C'est con à dire hein, mais je suis même pas sûr. Parce qu'elle est plus forte, plus puissante ? Plus chaleureuse ? Plus soul ?
Bien sûr que t'as tout ça, bien sûr que ce sont de très bonnes raisons. Mais bien plus que ça, tu transcendes. Tu habites tout ce que tu chantes. Bref, tu me fais rêver.


Et puis le drame. L'accident. Qu'est-ce que tu foutais dans cet avion... En tout cas le crash, la disparition, le drame. J'en connais qui s'en sont pas remis.
D'ailleurs je sais pas si tu sais ce qu'il s'est passé après que tu aies disparu ? T'as fait un carton ! Tu sais, (Sittin on) The dock of the bay, cette chanson à laquelle ils croyaient pas à Stax ? N°1 ! Un carton je te dis.
T'es même rentré au Hall of Fame ! Et c'est Little Richard qui t'a intronisé !
Ah, il s'en est passé des choses.


Mais trève de bavardages, moi je voulais surtout te dire que quand j'ai appris tout ça, j'ai pas hésité. Je suis parti tout de suite sur le lieu de l'accident, sans bagages, sans rien. Avec ma bite et mon couteau comme on dit. Bien évidemment, c'était très longtemps après le crash, mais je voulais voir, m'imprégner des lieux.


Et puis, en arrivant au bord de ce lac, sur le quai, j'ai vu un gigantesque campement. Des centaines, peut-être des milliers de personnes, de tous âges, organisés comme une petite ville.
Très vite, ils m'ont expliqué que depuis ton accident, le soleil n'apparaissait plus au bord du lac. Comme si la vie s'était arrêtée, comme si la Terre avait perdu quelque chose et qu'elle en portait le deuil.
Et pour eux, ça va peut-être te paraître con, mais ça voulait dire que c'était pas fini. Et j'y ai cru.


Aujourd'hui, alors que je me réveille et que mon couteau dorénavant usagé me sert à ouvrir une boîte de thon, je lève un regard pensif vers l'horizon obstrué. Je sais que quelque chose s'y trame.
On me la fait pas à moi, c'est pas un malheureux orage qui va t'arrêter. Me prends pas pour un fou, je le sais bien que ton avion s'est écrasé, mais t'as pas pu y rester. Pas toi. Pas déjà. Pas à 26 ans. T'as dû récupérer une barque, ou t'es à la nage, je sais pas, je m'en fous, mais je le sais que t'es toujours là ! T'es forcément là. Tu peux pas ne plus être là.


Allez ça suffit maintenant, il commence à faire froid. On t'attend depuis bien trop longtemps au bord de ce foutu lac. On est tous là, engourdis, Sittin' on the dock of the bay.
Il est temps, sors de ce maudit brouillard qui obstrue l'horizon.
Ramène-nous le soleil.
Reviens.

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le 29 oct. 2015

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