The Chronic
7.9
The Chronic

Album de Dr. Dre (1992)

Au début des années 1990, Dr. Dre est déjà une légende, mais à l’avenir incertain.


Aux côtés de ses compères de NWA, il a déjà changé le rap une fois. D’abord, parce qu’il a eu le privilège de produire pour des rappeurs révolutionnaires, dans tous les sens du terme : méchants mais conscients, politiques mais provocateurs, vulgaires mais fines plumes. Il n’était de loin pas étranger au succès du groupe : son génie déjà présent pour les boucles mélodiques, le groove et les batteries chirurgicales, de même qu’en direction artistique, aura permis de professionnaliser la musique du groupe pour qu’elle effleure les radios mainstream et choque, à dessein, l’Amérique blanche de Nancy Raegan et de ses family values.


Lorsqu’il quitte le groupe, excédé de se faire arnaquer par son manager, il est donc déjà une star du milieu, mais sans emploi. Entre alors en scène l’armoire à glace Suge Knight : très peu recommandable, cet ancien garde du corps ambitieux aura, par le biais de quelques magouilles, menaces et violences dont il a le secret, fondé le label Death Row ; par ces mêmes méthodes, il arrache Dr. Dre à son précédent label, et lui propose de s’associer. Le Docteur se retrouve capitaine du volet musical de Death Row Records.


Les bases sont ainsi en places, restent les deux éléments essentiels : la musique et les interprètes.


La musique d’abord, car le rap évolue extrêmement vite : le mythique Straight Outta Compton de NWA est sorti en 1987. Et si l’énergie de cette musique est indéniable, force est de constater qu’elle ne répond plus aux standards pour faire entrer le label dans la cour des grands, celle qui vous fait passer sur MTV.


Les interprètes ensuite, car Dr Dre est un producteur ; il sait rapper, n’est pas un virtuose. Il n’écrit pas ses textes. Mais il saura trouver celui qui deviendra, en l’espace de quelques mois, l’une des plus grandes stars aux USA et l’un des rappeurs les plus remarquables de tous les temps : Snoop Dogg.


Snoop, qui apporte non seulement un flow nonchalant décapitant chaque morceau (parfois avec une seule phrase !) et un charisme monumental, amènera aussi aux neurones de Dr Dre, gros buveur seulement, une substance nouvelle pour lui : la weed. Une weed qui lui fera ralentir la cadence de ses productions et leur insuffler du groove, influencé par la musique Funk (P-Funk, pour être précis), si chère à la Californie.


Ainsi, des boîtes à rythmes nerveuses et des samples hystériques, on passe aux basses lourdes et électriques, et aux nappes de synthétiseurs psychotropes.


Pourtant, l’heure n’est pas qu’à la fête ; Rodney King s’est fait tabasser par des policiers blancs il y a quelques mois à peine, et s’en sont suivies les émeutes de Los Angeles, traumatisme américain qui est dans tous les esprits. Ainsi, derrière une ambiance parfois festive, l’album ne cache pas sa haine : The Day The Niggaz Took over, placé en embuscade entre deux hits, est là pour le rappeler.


Dr Dre, machine de travail perfectionniste, concevra sur cette base des morceaux entrés au panthéon de la culture rap : Let me ride (et son ambiance de coucher de soleil en low rider), Lil Ghetto Boy (soulful et mélancolique), Fuck With Dre Day (où Dr Dre règle ses comptes), Deez Nuts (sur lequel Nate Dogg, crooner de la West Coast, fera sa première apparition enflammée). Ou encore Stranded on Death Row, posse cut où Snoop Dogg et Kurupt nous rappellent qu’ils viennent des battles, par des barbecues.


Le point d’orgue, et le résultat logique de tous ces éléments, se concrétisera sur le hit de l’album, régulièrement mentionné comme étant l’un des morceaux les plus importants des années 90 et suivantes, Nuthin’ but a G Thang. Une ligne de basse monumentale, une nappe de synthé obsédante, un couplet historique de Snoop et un refrain de folie feront passer l’album dans une autre stratosphère ; le patron d’Interscope, maison mère du label, dira à ses collaborateurs pour le lancement de l’album : « Vous allez payer les radios pour passer la chanson, et quand le public l’entendra il l’adoptera, parce le refrain est indéniable ».


Et l’exploit de cet album, monumental et fondateur, est là : en un album, Dr. Dre donne certes un son à la West Coast pour les 25 prochaines années, et fait entrer le rap sur MTV en vendant 5 millions d’exemplaire : mais il le fait par le biais d’une musique sans concession et violente, faite pour choquer tout autant que pour présenter la réalité de la vie de ceux que l’on préfère passer sous silence.


Et il le fait d’une manière tellement mélodieuse et inusable qu’il pose les bases de ce que sera le rap dans les décennies à venir : une contre-culture devenue culture, où Kendrick Lamar peut être une superstar pop et faire un morceau avec Tyler Swift, symbole pourtant de l’amérique blanche.

Brianm
10
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le 3 juin 2020

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