C'est à ce genre de projet totalement bancal relevant plus de la blague lancée à 4 H du matin dans un état alcoolisé avancé en compagnie de Dutronc et Coluche qu'on réalise à quel point Sergio était un génie au dessus du lot. Un type capable d'écrire un album entier autour de deux thèmes inconciliables à première vue et qui ont pourtant une cohérence absolue pour un musicien juif né en 1928.


Baudruche d'Autriche


Puisque le jeune Lucien Ginsburg caché dans la Sarthe pendant l'occupation, découvre le rock dans une France d'après guerre où le traumatisme du nazisme est encore très présent. Quelques années plus tard, il connait une carrière vertigineuse, écoule des millions de disques et ne s'épargne aucun scandale. En 1975, il lui vient l'idée de télescoper ses deux expériences personnelles (rock fifties et IIIe Reich) pour en faire une série de tubes à la teinte Glam rock. Un projet risqué, même pour un provocateur notoire comme Gainsbourg.


Dans Rock around the bunker, Gainsbourg ridiculise l'uniforme qui a fait trembler le monde, en le réduisant à des simples sonorités vidées de sens. Obsédé par les jeux de mots depuis toujours, Gainsbourg va se lâcher littéralement et ne recule devant aucune idée farfelue : Jouer avec "Sieg Heil" et "SS", imaginer un Hitler schizophrène assailli par des voix défaitistes (le fantastique J'entends des voix off), ou de narrer la retraite paisible d'un ancien nazi désinvolte sous le soleil d’Uruguay un cocktail à la pogne qui vit l'expérience club Med plutôt que celle de Nuremberg (SS in Uruguay entorse reggae avec Zig zig avec toi à ce programme rock).


On fait difficilement plus narquois et subversif à bien y réfléchir. On est loin des pleurnicheries sur le statut de victime que tout le monde réclame d'une façon ou d'une autre ces derniers temps. L'ultra festif "Nazi rock" raconte une préparation à une sauterie nazie où le maquillage tient une part prépondérante. Le mélange guitare piano sonne parfois comme l'album Aladdin Sane de Bowie (Eva, Smoke gets in your eyes). Faut dire que le guitariste, Alan Parker a travaillé sur Diamond Dogs.


Comme souvent dans ces années là, Gainsbourg se fout aussi un peu de la gueule du monde et signe des choses indignes de son talent (Tata teutonne), qui ressemblent à des restes de l'album un peu scato Vu de l'extérieur.



Assez porté sur la tortore
il s'tape des tonnes de steak tartare
puis Otto rote et jette hautain
son étron au trou des tinettes
son gros pétard pète et fait...



Il y a des couillonnes, qui parlent d'extraditionne


Mais il trouve le plus souvent la vanne qui tue :



J'ai gagné la (Yellow Star) et sur cette (Yellow Star) y a peut-être
marqué shérif ou Marshall ou big chief



La Shoah est devenu un sujet de plaisanterie pour beaucoup de comiques actuels parfois exécrables, et aucun n'a réalisé un truc aussi drôle et subversif, que cet espèce d'opéra rock qui rappelle "Un printemps pour Hitler" des Producteurs de Mel Brooks. Soit un show grotesque qui rend enjoué et sucré l'idéologie antisémite. Un camouflet qui aurait rendu fou l'état major réputé pour être particulièrement soupe au lait d'après mes infos.


Pourrait-on imaginer un type en 2020 qui sortirait un concept album mêlant Etat islamique et bossa nova, ou Khmers rouges et electronica, pour partir à l'assaut des charts ? Non, pas du tout. D'autant que ce Rock around the bunker n'a provoqué aucune vague d'indignation particulière.


Et dans le fond, cela a peut-être bien attristé Serge Gainsbourg.

Negreanu
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le 23 mai 2020

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