Revivre
7.9
Revivre

Album de Manset (1991)

Voyage funéraire pavé de magnolias

Le voyage commence en de tristes tropiques, loin du filtre touristique rassurant que se créent les hommes réalistes. Les fantômes des oppressés du passé rejoignent ceux du présent, et sans chercher à comparer ou hiérarchiser leurs souffrances, il ne reste qu'un premier constat de ruines. Notre vie en ruines. La voix au lointain, la mélodie qui part et revient comme une vague inauguratrice, les arrangements luxurieux pour expliciter que l'environnement, autour de ces ruines, reste et restera propice aux histoires du futur.
Le deuxième morceau a une tonalité plus souterraine. Après avoir raconter ses décombres autour, rentrons dans le sujet en lui-même, l'Homme, au bord de son fleuve vital qui coule vers la mer. Les guitares caressent, solennelles et fatalistes, des nappes lyriques évoquant un liquide extralucide. Le chant du cygne, il est dans l'implicite, derrière un paysage majestueux tapi dans l'ombre, que l'on ne peut qu'entrevoir, que l'on ne peut que croire entendre. D'où cette hypnotisation, ce mystère que nous tentons de cerner.
Le troisième morceau, plus classique, revient vers la surface. Quelle terre à attendre ? Quel lieu à désirer, un Paradis, un Enfer, Autre Chose ? Qu'y-a-t-il derrière le masque de fer que se voile l'Homme face à sa descente ? Nous n'aurons pas de réponses, car il n'y a pas de réelle question, juste une appréhension rêveuse. A la surface, surtout, un clavier un poil atone ravive un peu de vie, propulsée par ce désir fiévreux de croire en un ailleurs.
Le quatrième morceau, le plus intimiste, est en acoustique. Chose rare, précieuse. Si précédemment on parlait de rêverie quant à la perte de la condition humaine, autant ici nous parlons de ce que nous y perdrons, de nos regrets et de nos remords, de notre nostalgie inhérente à la création des souvenirs, à ce que l'enfant a abandonné derrière lui pour regarder un soleil se coucher. L'identifiant du texte porte la chanson en des sphères universelles, puisque rien ne sera jamais plus communiquant qu'un dernier bilan sur ce que nous allons laissé avant le départ.
Le cinquième morceau part de l'embarcation dans cette Mort, où l'Imaginaire teintée de mélancolie dirige le navire. Ivre ? Courageux, certes. Il en faut pour traverser indéfiniment les mêmes océans à étoiles... Conçue comme une pièce musicale, ce morceau doit être mon préféré de l'album, pour son lyrisme qui devient global, comme un état mortuaire qui engloberait son interprète, naufragé volontaire dans son propre univers, fantasmagoriquement Phénix. Comme une extase délicieusement inaccessible.
Le sixième morceau raconte comme une ascension vers ce qui nous attend tous. D'où peut-être ce cercle harmonique qui tourne et retourne comme pour piéger cet Homme si prêt du but. Bon, si on tape "Eden Bay" sur Google, on tombe quand même sur un hôtel au Liban : la Mort n'a pas de frontières, Revivre chacun à sa façon.
Revivre... Ressusciter ...Tout recommencer, autrement, dans une autre peau, au sein d'une nouvelle identité, pour une nouvelle histoire vouée à rejoindre l'universel. Le septième et dernier morceau (7, pas un chiffre anodin !), c'est un espoir inespéré qui ressurgit quand à ce qui nous attend pour la Mort. Revivre comme cette flûte surgie d'une jungle Amazonienne, plus près de nos aspirations aux côtés de la nature, loin de tout ce qui a obligé l'enfant que nous étions à se lever pour se diriger vers le soleil couchant. Ressusciter, pour l'Inédit, pour se croire plus qu'un tas de viande le temps d'une vie insignifiante, et se vouer au rêve à jamais. Recommencer l'album, encore et encore, pour toujours plus y puiser de richesse. Et mourir, enfin.

Créée

le 10 févr. 2021

Critique lue 167 fois

2 j'aime

Billy98

Écrit par

Critique lue 167 fois

2

D'autres avis sur Revivre

Revivre
bisca
7

Critique de Revivre par bisca

Cet album frère de "Matrice" en est aussi l'opposé, baigné de parfums de voyages ("Tristes Tropiques", "Capitaine courageux"). Marqué cependant par le même pessimisme ("On croit qu'il est midi et le...

le 6 avr. 2022

1 j'aime

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Billy98
10

MA BIBLE

Mon film préféré. La plus grosse claque artistique de ma vie. Une influence dans ma vie. Un éternel compagnon de route. Le cinéma à l'état pur et au summum. Oui, vraiment ma Bible à moi. Je connais...

le 21 juin 2016

29 j'aime

12

Lulu
Billy98
10

Jamais été aussi désespéré, et jamais été aussi beau (attention: pavé)

Le Manifeste... Projet débuté par un court-métrage majestueux, accentué de poèmes en prose envoyés par satellite, entretenant le mystère, son but semble vraiment de dire: prenons notre temps pour...

le 15 mars 2017

27 j'aime

10

The Voice : La Plus Belle Voix
Billy98
2

Le mensonge

Je ne reproche pas à cette émission d'être une grosse production TF1. Après tout, les paillettes attirent les audiences, et plus les audiences augmentent plus les attentes montent, c'est normal. Je...

le 17 févr. 2018

18 j'aime

7