Cette fois, c’est pour de bon.
Le monde va s’effondrer avec nous dedans.
Pas l’ombre d’un espoir à l’horizon. De l’abandon. De l’abandon. De l’abandon. Bagages pliés, gueules muselées, les grands contestataires encaissent en toute discrétion le chèque de leur silence.


Pendant qu’on déblatère gentiment du qu’est-ce-qu’être-Punk-au-XXIème-siècle autour d’un café, grassement vautrés dans le confort d’un plateau télé.
Pendant que celui-là brûle des vinyles.
Pendant que le dress code s’affirme et que les hipsters de tous bords déclinent à leur sauce l’idée d’une révolution qu’on ne veut surtout pas voir de trop près. Comme il en a toujours été.
Pendant qu’on nous spolie à visage découvert, sans vergogne, que le cirque s’exhibe dans la rue, plus absurde que jamais.


Qu’il serait bon de croire encore un peu.
En un soupçon d’intégrité véritable, qui n’aurait peur ni du ridicule, ni de la solitude. Qui n’aurait peur de crier plus fort que la télé du voisin.
Il serait permis alors, galvanisé par l’élan collectif, de rêver à voix haute d’un monde moins brutal, où l’apologie machiste de la domination ne dirigerait plus qu’une bande de bouffons passéistes oubliés de tous. Il serait possible de prôner la destruction pure et simple du monstre capitaliste sans récolter mépris et regards interloqués.


Il apparaitrait alors évident qu’être Punk n’implique nul accoutrement, nulle appartenance musicale. Que la musique naissant de la nébuleuse de rage initiale ne doit être qu’instrument, conséquence. Qu’on ne compose pas un thème Punk pour ensuite apposer sur ses riffs une poignée de paroles vaguement gauchistes. De l’idée doit naître la note, le riff, le texte.


Dans ce monde miraculeux, Propagandhi s’épanouirait assurément, bien au-delà de son Canada natal. On prêterait attention à son évolution, à ses engagements, à la manière on ne peut plus discrète avec laquelle il a balayé le Punk à roulettes qui l’enfanta pour lui incorporer une saturation de plus en plus extrême, quitte à marcher sur les plates-bandes metalliques de la côte Est états-unienne, s’emparant au passage de la flamme vacillante de son Hardcore, la ravivant un temps pour mieux l’abandonner sur le chemin du renouveau.
Un grand mix d’influences plus hétéroclites que jamais. Le melting-pot, le vrai. Qui tabasse.
Car Propagandhi ne renonce jamais. Chaque déconvenue lui donne plus de force, d’entrain, de cœur à l’ouvrage. C’en est à peine croyable, dirons-nous. Trop pur pour être honnête.
Pourtant.
Chris Hannah est plus en verve qu’il ne l’a jamais été. Today’s Empires Tomorrow’s Ashes annonçait la couleur, posait les bases. Potemkin City Limits va plus loin. Il est l’album de la rupture franche. Avec la maison mère, Fat Wreck Chords, jugée trop consensuelle dans ses prises de positions politiques (Rock For Sustainable Capitalism au texte acéré parodiant méchamment le célèbre « When did punk rock become so safe ? » du non moins célèbre et désormais honni NoFX). Avec toute retenue également, toute porte ouverte à un succès commercial jugé mal venu.


C’est alors, libéré des rares entraves qui l’étouffait encore, que l’être Propagandhi explose au grand jour.
Paradoxalement, il rassemble.
Même si le néophyte de passage ne voit pas, ne comprend pas, l’invisible révolution musicale en présence. S’il n’est pas en mesure de constater que les riffs et structures de Potemkin City Limits sont absolument uniques (Fedallah’s Hearse pour ne citer qu’elle). S’il n’a que faire de ces considérations historico-maniaques. Il entend pourtant. Il entend la liberté partout clamée, le mot fait musique et vindicte. Il partage et s’intéresse. Il cherche souvent le fond des textes, le revers, le second ordre. Il en ressort grandi, interrogatif, perturbé, choqué, vexé, profondément inquiet. Jamais indifférent. Ce chant ne tolère pas l’indifférence, pas plus que la demi-mesure. C’est un chant qui veut tout à la fois, qui s’autorise tous les rêves, toutes les colères.


Délivré du vouloir-plaire, en roue libre, Propagandhi s’affirme et livre son nouvel anti-manifeste. Un crachas mélodique, une ordure délicate, enchaînée à son propos mais libre comme jamais. Potemkin City Limits frôle constamment la perfection faite Punk, la caresse incessamment mais s’offre le luxe indécent de laisser en bouche la troublante impression que Propagandhi en a encore sous la pédale, qu’il n’est qu’aux prémices de ce que son talent peut offrir, qu’un chef-d’œuvre, un vrai, reste à venir, quitte à changer le monde sait-on jamais.

-IgoR-
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le 28 nov. 2016

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