Tu te rappelles ? Tu te rappelles comme il était beau ?
Tu te rappelles ses premiers pas balbutiants, ses premiers pas alcoolisés sur les scènes perdus de Detroit, Michigan en compagnie de ses Stooges?
Ses excès scéniques. Ce torse sec et musclé enduit de beurre de cacahuètes ou tailladé au tesson de bouteille, selon les dosages de son "Brown Sugar".
Ce sexe turgescent qu'il brandissait comme l'étendard du tout jeune Punk-Rock, ce zboub monumental qu'il agitait au nez de la prude Amérique en crachant insanités et hurlements bestiaux.
Tu te souviens ? Tu te souviens de ces trois albums mythiques, fondateurs, juste avant la séparation ?
Tu te souviens des litrons de Fuzz qu'ils déversaient sur les pompes de Hippies acidifiés jusqu'à la moelle. Quand Iggy se traînait à tes pieds, hurlant qu'il voulait être ton chien pour la vie. Cette héroïne brûlante et la démence Rock qui coulait dans les veines du dangereux Fun House. Ce pacte musical que les Stooges signèrent avec le diable, vendant leur âme pour un sachet de rabla et un album forgé dans les flammes de l'enfer.
Puis Raw Power et cette rencontre avec Bowie. Le garçon oublié du monde qui supplie qu'on lui donne du danger et qui va le prendre en pleine gueule.
Ses Stooges qui implosent. Iggy qui s'enterre sous des tonnes de poudre blanche.
Il "slame". Seul. Contre les murs blancs d'un hôpital psychiatrique. Isolé. Loin du monde, de la vie, Iggy n'est plus qu'une ombre. l'ombre du mauvais lézard qui rampait sur les scènes d'une Amérique des bas-fonds, pissant allègrement sur les restes fanés d'un "Flower Power" mort main dans la main avec ces centaines de vies au Vietnam.
Tu te souviens ? Tu te souviens que c'est le grand David Bowie qui le sortira de cet enfer neuroleptique ? C'est lui qui viendra récupérer la carcasse décharné du reptile pour l'emmener vers une nouvelle destination: Berlin.
Une nouvelle vie pour Iggy. Une résurrection musicale, un nouveau départ qui s’amorce sous les flocons de cocaïne tombant de la poche du Thin White Duke dans la froide Berlin.
Deux albums. Deux albums pour se réinventer; pour recréer Iggy Pop et élargir l'horizon d'un Rock'n'Roll assoupi.
The Idiot et Lust For Life viennent glacer le Rock et ouvrir la voie à l'après-Punk.
Tu te rappelles de l'encore bon New Values ? Et puis ? Tu t'en rappelles ? Des bribes !
Des chansons. Du cinoche avec Waters, avec Jarmusch. Des petits morceaux d'albums. La reformation des Stooges. Un disque en Français.
Et puis 2016.
L'annonce il y a quelques mois d'un nouvel album du Pop depuis le médiocre Après, me mit dans un état quelque peu dubitatif.
Une nouvelle rafale de reprises du répertoire "frenchy" à base de réorchestration de "Papayou" du gros Carlos ou du "Sapé comme Jamais" de l'odieux Maître Gims ? Que nenni mes amis.
C'est Josh Homme ( Queens of the Stone Age, Eagles of Death Metal, Them Crooked Vultures) qui prend les manettes du projet. Accompagné de Matt Helders (Arctic Monkeys) et Dean Fertita (The Dead Weather, Queens Of The Stone Age), le "Stoner roucmoute" embarque l'Iguane dans ses propres studios à Joshua Tree en plein désert californien.
Et quoi de mieux qu'un désert aride pour une saloperie de lézard ?
Quoi de mieux que le désert, que ce grand rien baigné de soleil pour une remise en question. Car les deux hommes ont tant de choses à dire, tant de choses à conjurer. La nature seule, la sauvagerie brûlante de cette nature violente et indomptable peut les confesser.
Homme et Pop s'enferment dans le studio et exorcisent leurs démons. Le Bataclan et ses fantômes hantent Homme qui se jette dans le projet tête baissée, tandis qu'Iggy tente avec cet - son dernier, comme il l'a annoncé - album de tuer sa légende pour mieux la faire renaître.
Josh Homme comme l'avait fait Bowie (avec Raw Power, The Idiot et Lust For Life) prend l'Iguane sur son épaule et l'aide à pondre, à donner vie à ce 22 ème album.
Iggy - 69 ans- regarde les années passées. Il se retourne sur cette carrière insensée et vient parler aux fantômes des Frères Asheton, de Lou Reed ou de David Bowie.
Josh Homme se fait discret. Il s'inspire de la période Berlinoise de l'Iguane, revient en arrière, retravaille en douceur, respectueusement, les ambiances froides et industrielles du diptyque Allemand en y mêlant sa touche "Stoner" avec ses riffs de gratte accrocheurs, lancinants et une prod' toute en retenue et d'une vraie modernité.
C'est le "Desert Rock" sec et nerveux qui envahit les influences Berlinoises du vieux reptile.
Depuis quelques albums l'ami Iggy semble redécouvrir sa voix, il la module, il la modèle - tantôt Rocker, tantôt crooner - sur les pistes de ce disque fantôme. Quelque chose de hanté se dégage de cet étrange Post Pop Depression.
De lointains échos viennent accrocher ton oreille, la voix d'Iggy semble se superposer.
On jurerait entendre le Thin White Duke. Le spectre émacié de Bowie s'invite sur l'album, on entend ses intonations, ses basses de velours, le velouté de sa voix magique. Iggy est envoûté et fait parler les morts.
La nostalgie d'une époque révolue transpire par tous les pores de ce disque. Une douce mélancolie infuse cet opus, une mélancolie heureuse, une mélancolie post-dépression.
Au final Post Pop Depression forme un tout d'une cohérence indéniable.
Le Rock pur et dur de Vulture ou de In The Lobby, les réminiscences Berlinoises de Gardenia ou German Days (directement inspiré du séjour dans la capitale Teutonne de l'Iguane) ou la délicieuse sucrerie Chocolate Drops se mêlent, s'entremêlent sans incidences.
L'implication d'Iggy, la production solide de Homme et le professionnalisme de ce groupe éphémère force le destin, redonne un coup de peinture, un coup de neuf sur le visage creusé de la vieille légende.
L'album est une réussite. Le dernier album du monstre sacré IGGY POP est une réussite.
La dépression est vaincue.