Pat Garrett & Billy the Kid (OST)
7.6
Pat Garrett & Billy the Kid (OST)

Bande-originale de Bob Dylan (1973)

Après près de deux ans de silence discographique (le single George Jackson était sorti fin 1971), Pat Garrett & Billy The Kid marque une étape importante pour Bob Dylan. D’abord parce qu’il fait ses débuts d’acteurs sous le soleil de Durango et devant la caméra de Sam Peckinpah, en interprétant le mystérieux personnage d’Alias, rôle qui lui convient parfaitement puisqu’il lui permet de s’exprimer tout en restant fidèle à la retenue et l'impénétrabilité qui lui sont coutumières. Ensuite parce que la bande-originale, qu’il compose parallèlement au tournage, signe le retour à une véritable cohérence artistique, perdue depuis Nashville Skyline, et qui s’exprimera pleinement dans la suite de la décennie. Trois sessions suffiront pour enregistrer l’album : le 20 janvier 1973 (d’où émergera seulement Billy 4) puis deux autres durant le mois de février suivant. La plupart des musiciens sont familiers de l’univers dylanien : Bruce Langhorne, Russ Kunkel, Jim Keltner, Roger McGuinn…


Pour sa première bande-originale, Dylan fait le choix de la sobriété, à l’image de sa pochette, due à John Van Hamersveld, (qui avait créé, entre autres, la pochette d’Exile On Main St.), d’une exemplaire simplicité. L’album s’ouvre sur le thème principal du film, intitulé simplement Main Title Theme, simple suite d’accords qui sera déclinée, sur le mode de la fugue, d’abord sur ces six minutes, puis dans trois autres morceaux (dont la numérotation va de trois en trois : Billy 1, puis Billy 4, et enfin Billy 7). Entièrement instrumentale, cette composition laisse place progressivement à plusieurs instruments (guitare, basse, tambourin) qui transmettent une impression de chaleur acoustique, non dénuée d’une certaine pesanteur, d’une certaine tension. Même sans connaître le film, c’est tout un imaginaire des grands espaces américains qui s’ouvre a nos yeux, un environnement certes bucolique mais dont le danger n’est jamais absent. Cette admirable réussite laisse place au Cantina Theme (Workin’ For The Law), associé à Pat Garrett, chargé de prendre en chasse son ami Billy au nom de la loi et du devoir. Malgré une montée en intensité palpable dans les dernières secondes, cette composition met en place une atmosphère paisible, relaxante, due en grandes parties aux bongos de Russ Kunkel qui apportent une couleur pittoresque au morceau.


Dylan semble avoir voulu retarder au maximum l’arrivée du chant puisque, même sur le troisième titre de l’album, Billy 1, il faut attendre 1:35 pour entendre sa voix. Première reprise du thème principal, le morceau exprime déjà l’idée centrale de la chanson. Inspiré par ses affinités naturelles avec le personnage, Dylan rédige une véritable ode à Billy The Kid, incarnation de la liberté : « Billy, they don’t like you to be so free » ; et d’une vie indépendante menée à l’écart de la société. S’appuyant sur des sonorités mexicaines, Dylan se permet quelques rimes hispanisantes (« hacienda », « señorita ») qui donnent une couleur locale à sa nouvelle composition. La narration entretient habilement l’ambiguïté sur l’identité du locuteur : est-ce Pat Garrett, qui regrette déjà ce qu’il s’apprête à faire, et envie secrètement Billy (« Billy, don’t you turn your back on me »), ou une voix extérieure, celle du poète ?


Ce titre majeur laisse place à une série d’instrumentaux qui constituent la partie centrale de l’album, calquée sur celle du film, et malheureusement sa moins passionnante. S’il permet aux deux guitares (respectivement de Dylan et de Carol Hunter) de se répondre, le Bunkhouse Theme apporte peu de choses par rapport aux morceaux précédents, si ce n’est une mélancolie de plus en plus présente. Quant au River Theme, il s’agit de la composition la plus courte et la moins ambitieuse de l’album, quelques accords de guitare habillés par des la la la, procédé que Dylan semble affectionner depuis le début de la décennie (que l’on pense à Wigwam ou The Man in Me). Enfin, Turkey Chase détonne un peu dans l’atmosphère de l’album, avec ses tonalités purement country, et s’étire inutilement, bien qu’il permette aux musiciens de s’exprimer : le banjo et le violon forment une harmonie entraînante et chatoyante.


Ce morceau regardant quelques années en arrière, du côté de Nashville Skyline, laisse place à un hit instantané, qui deviendra l’un des titres les plus fameux et les plus repris de Dylan (pour le meilleur et pour le pire). On oublie trop souvent la sobriété des accords, la simplicité des paroles, qui expriment superbement l’approche de la mort, tout ce qu’elle peut avoir de rassurant et d’angoissant. Frappe-t-on à la porte du paradis pour demander pardon ? La répétition du refrain suggère-t-elle une station éternelle devant cette porte, qui ne s’ouvrira peut-être jamais, ou au contraire une proximité libératrice, l’approche d’un paradis salvateur qui délivrera l’homme de toutes ses angoisses, de toutes ses souffrances ? Comme l'ensemble des grandes œuvres de Dylan, Knockin’ on Heaven’s Door ne dévoile jamais complètement ses secrets. Il s’agit d’une de ces chansons universelles et qui se dévoile à nous immédiatement, à l’image de Blowin’ in the Wind ou de I Shall Be Released, dont seul Dylan semble détenir le secret. Le morceau illustre par ailleurs la plus belle scène du film (et l’une des seules qui parvient à m’émouvoir pleinement), la mort d’un personnage secondaire, tué par Pat Garrett, près d’une rivière, au crépuscule.


Prolongeant la tonalité à la fois sombre et apaisée de Knockin’ on Heaven’s Door, le Final Theme s’affirme également comme l’une des réussites de l’album. La ligne de flûte, subtile, chaleureuse, caressante, confère au morceau son caractère poignant, renforcé par les chœurs discrets et mélancoliques. Les deux dernières reprises du thème principal, Billy 4 et 7, sont également de grands moments de l’album. Sur la première, Dylan chante avec une grande intensité, une douleur qui est la sienne, celle de Billy, mais aussi celle de Pat Garett. L’accompagnement, réduit à la plus grande simplicité, rappelle les années acoustiques du chanteur. Le déracinement de Billy constitue un leitmotiv de la chanson et l’on sent que le natif de Duluth s’y retrouve pleinement : « Billy, you’re so far away from home ». Enfin, sur la seconde, qui clôture donc l’album, la voix de Dylan se fait apaisée, presque désillusionnée, succédant peut-être à la mort de Billy qui pourra enfin « rentrer chez lui ».


Pat Garrett & Billy The Kid constitue donc à mes yeux une réussite majeure de Bob Dylan. L’album montre d'abord une capacité d’adaptation à un genre totalement nouveau pour lui, la bande-originale, et celle qu’il délivre semble d’ailleurs bien éloignée des canons hollywoodiens. Un véritable talent pour des compositions instrumentales s’affirme aussi, mais Dylan n’a rien perdu non plus de son habileté à écrire des textes poignants, dont la richesse se dévoile parfois immédiatement (Knockin’ on Heaven’s Door), et dans lesquels il insuffle une touche profondément personnelle alors que les thèmes et les personnages ne sont, initialement, pas les siens. Il faut également souligner à quel point l’atmosphère de l’album est réussie, qui trouve le juste ton entre des arrangements paisibles et bucoliques, et une mélancolie particulièrement émouvante. Ce mélange savant de tonalités, d’ailleurs teintées de sonorités mexicaines, annonce déjà celle d’un chef d’œuvre des années 70 : Desire.

Faulkner
7
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le 30 nov. 2017

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