Paranoid
8.1
Paranoid

Album de Black Sabbath (1970)

Que l'on soit d'accord, s'il y avait UN groupe auquel attribuer le Big Bang du Metal, ce serait Black Sabbath. Je ne dis pas "création", parce que ça peut largement être discuté : Les années 1967 - 1970 ont été celles d'une escalade toujours plus grandes de sons d'ampli et de riffs de moins en moins mielleux, que ce soit Cream ou Iron Butterfly en 1967, Steppenwolf en 1968 ou Led Zeppelin en 1969. Le metal aurait toujours pu se former sans Black Sabbath, mais sûrement pas dans la même forme que celle pour laquelle on la connaît : celle d'un son lourd porté par des guitares avec quelques demi-tons de moins et de paroles lourdes de sens et portées par l'intérêt au surnaturel. Ce tout créé ce ciel bas et lourd dont parle Baudelaire, celui d'une chape de plomb (insérer blague sur le fait que le plomb est un métal ici) qui pèse sur celui qui l'écoute. Mais ça, vous le savez déjà si vous avez déjà écouté le premier album du groupe sorti au début de l'année 1970 sous le nom de Black Sabbath. Bien sûr, il n'avait pas cartonné à sa sortie, car trop avant-gardiste et faisant fuir les pauvres fans des feu Beatles. La critique n'avait jamais aimé ce tout nouveau groupe, et ce que l'on critique dans le premier album est surtout le côté un peu brouillon des chansons et de l'arrangement du son. Du coup, pour Ozzy Osbourne, Tonny Iommi, Bill Ward et Geezer Butler, ce n'était pas une surprise, et cela ne les a pas empêché de reprendre la route du studio dès le 16 Juin 1970. Le premier album venait alors tout juste de sortir aux States, terre promise des groupes en devenir.
Alors, qu'est-ce qui en est sorti, de ces cinq jours de création intensive ? Un véritable chef d'oeuvre du Heavy Rock, une amélioration bien ressentie des moyens du groupe et la floraison de leurs capacités musicales. Je vous ferai grâce de faire l'éloge de la Face A du disque, parce beaucoup d'autres personnes ont su le faire bien mieux que moi. Un petit mot quand même pour remarquer à quel point Planet Caravan n'est pas considéré dans l'album, comme si, aux yeux des fans, ce serait une erreur acoustique coincée entre les deux géants que sont Paranoid et Iron Man. Au contraire, et Black Sabbath l'a compris, le meilleur moyen de faire vivre la lourdeur de ces deux titres, c'est de les faire respirer; comment apprécier une guitare quasi-saturée si on en bouffe pendant toutes les vingt minutes que dure la Face A ? Le groupe l'a si bien compris que, dans Master of Reality, leur album suivant, ils allaient répéter l'opération, avec un doux Solitude suivi d'Into the Void, un de leurs titres les plus lourds.
Mais je m'égare. Parlons plutôt de la Face B, car c'est celle qui m'intéresse le plus ces derniers temps. War Pigs, Paranoid et Iron Man sont connus du grand public, destiné à devenir un élément mainstream (Seigneur, je sonne comme un hipster maintenant ...), et ce alors que certaines pépites que l'on retrouve de l'autre côté du disque sont, non pas oubliées, mais cachées par l'immensité des titres du premier disque. Electric Funeral est l'exemple d'un titre à Riff de Sabbath : Deux-trois riffs, quelquefois quatre, entrecoupés d'un solo, cadrent la voix et les autres instruments dans le jeu de la guitare et permettent d'avoir une construction musicale solide. Ce n'est pas nouveau, mais la différence avec Black Sabbath est la lourdeur de ce son de guitare qui amplifie la puissance de ces riffs; et Electric Funeral, avec un riff venu de l'Enfer, en est le meilleur exemple. Hand of Doom est la preuve de la simplicité efficace de Geezer Butler en tant que bassiste et parolier du groupe (mais on parlera du sens des mots plus tard), et Rat Salad de la capacité de Bill Ward à faire d'un solo de batterie assez jazzy (tous les grands batteurs ont été élevés à la même école que Buddy Rich, de toute manière) un précurseur d'une batterie de Heavy Metal, rapide mais claire, sans fioriture. Quant à mon coup de cœur, c'est le tout dernier titre de l'album : Fairies Wear Boots. Pourquoi coup de cœur ? Déjà, je trouve ce riff d'ouverture, avec cet effet d’écho, absolument bluffant. Ensuite, je vénère ce riff intermédiaire qui alterne riff simple d'Iommi et Mini-solo de Batterie de Ward. Ensuite, la voix d'Ozzy : je trouve qu'il est présent dans ce titre, presque transcendant. Je ne dis pas qu'il fait un mauvais travail sur les autres titres, juste que sa voix sur ce titre est un exemple de pourquoi il était le meilleur pour Black Sabbath : il n'a pas la voix rauque de Dio ou les octaves perchés de Gillan (quoique the Writ peut faire une très bonne exception à la règle), mais il a une voix qui porte son environnement musical, celui des ténèbres et de la déprime; et, pour cela, même Freddie n'aurait pas fait un meilleur travail qu'Ozzy sur ce genre de titre.


Voilà; assez péroré, voilà maintenant le temps des paroles. Car Black Sabbath n'est pas qu'un groupe de grands bourrins complètement défoncés qui explosent les amplis dans les quartiers insalubres de Birmingham; leurs paroles portent un autre message. On est en 1970, et la critique de la Guerre du Vietnam se retrouve au delà des Etats-Unis; même le jeune groupe britannique se retrouve dans les idées pacifistes, tout en haïssant la musique mielleuse sortant des mouvements hippies. C'est donc une critique de la Guerre du Vietnam, et de manière générale de la Guerre Froide, qu'on peut ressentir dans cet album, comme si elle suintait de ses pores tout de vinyle vêtus. War Pigs n'est plus à expliquer dans ce cas : Les Porcs de Guerre, Les soldats qu'on traite comme de la chair à canon, le Jugement Dernier, bla, bla, bla. Tout le monde qui s'intéresse au groupe connaît l'histoire de cette chanson, et à quel point elle a été percutante dans la scène musicale d'alors. Et il faut le comprendre : on est passé, lyriquement, de Donnez une chance à la paix (Give Peace a Chance, en 1969), à *Esprits maléfiques décidant la destruction, sorciers d'une mortelle construction". C'est dire si le message a changé. Et c'est là que la lourdeur du son du groupe trouve sa raison d'être : le son de Black Sabbath était lourd et menaçant parce que le Monde était lourd et menaçant; Nixon aux commandes, beaucoup croyaient que le Vietnam allait être le point de départ de la Guerre Nucléaire à outrance, et le groupe ne cachait pas sa peur qu'une telle chose arrive. Lisez un peu les paroles d'Electric Funeral :
Un reflet dans le ciel t'avertit que tu vas mourir. Une tempête approche, cache-toi de la marée atomique
Ces quatre lignes seules ne sont-elles pas suffisantes ? La pop et le mouvement hippie de l'époque voulaient faire oublier le danger qui menaçait le Monde, Black Sabbath voulait le montrer pour que la jeunesse veuille l'éviter (Et c'est l'intérêt de Children of the Grave sur Master of Reality). Enfin, n'oublions pas que la Guerre du Vietnam a aussi laissé ses séquelles sur les soldats qui y ont participé, et c'est l'intérêt du titre Hand of Doom: si on parvient à cerner les paroles, on comprend facilement l'histoire implicite, à savoir un ancien soldat du Vietnam qui, pour oublier le stress post-traumatique du Vietnam (à savoir le Napalm du Vietnam dont parle Butler, parolier du groupe), se laisse aller dans les drogues dures, risquant sa vie à chaque piqûre avant que la fin de la chanson ne sonne le glas de sa vie.
Alors, que retenir de cet album ? Retenons que c'est un instantané du monde de 1970 dans une musique alors en pleine mutation. Le rock n'avait plus rien des déhanchés d'Elvis et du Summertime Blues de Cochran; le rock progressif, le hard rock, le heavy metal, ces trois genres qui émergent alors quand Paranoid sort en 1970 sont les reflets d'une musique qui gagne en maturité, musicalement et lyriquement. C'était parce que leur environnement était sombre que la musique se voulait plus mature, et si la musique metal n'attire plus autant aujourd'hui, c'est parce que le Monde dans lequel nous vivons aujourd'hui semble (presque) à l'abri d'une Troisième Guerre Mondiale (mais pas à l'abri de beaucoup d'autres problèmes mettant notre planète en danger, loin de là même). Espérons donc que les chansons de Black Sabbath, tout en étant génialissimes, soient plus vraies pour 1970 que pour le Monde de demain.

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le 29 août 2019

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