Out There
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Out There

Album de Eric Dolphy (1961)

(L'enregistrement date du 15 août 1960)
Après avoir participé au sein de l’orchestre de Charlie Mingus au festival d’Antibes (Mingus at Antibes), qui a laissé un souvenir extraordinaire dans la mémoire des spectateurs présents ce soir là, Eric Dolphy retrouve le chemin des studios pour y graver son deuxième album en tant que leader, dans les studios de Rudy Van Gelder, aujourd’hui mythiques. Nous sommes au mois d’août, six mois après son premier enregistrement. On le sent encore sous l’emprise d’Ornette Coleman, particulièrement sur le titre « Out there », atteignant les limites du be-bop sans encore oser passer le pas, dans moins de trois mois ce sera fait, il participera aux sessions du célèbre « Free Jazz » qui libèreront les musiciens des règles et le débarrasseront du carcan des progressions d’accord.
Lorsqu’il a joué il y a quelques temps avec Chico Hamilton, Eric a fait une rencontre importante, celle d’un musicien aussi jeune que lui, le contrebassiste Ron Carter qui joue également du violoncelle. Cette particularité va aiguiser l’intérêt de notre multi-instrumentiste, qui va, dans cet enregistrement, tenter d’intégrer avec réussite le violoncelle dans un orchestre de jazz. Pour se faire il fait appel un authentique bassiste en la personne de George Duvivier rencontré chez Oliver Nelson et confie la batterie à Roy Haynes déjà présent lors de son premier disque en tant que leader.
Out there est le premier titre de l’album. Eric Dolphy y est époustouflant de virtuosité à l’alto, George Duvivier est un point d’ancrage très fort au sein du quartet, fournissant une base solide aux envols du saxophoniste. Ron Carter, avec son archet fait vibrer les cordes du violoncelle et serpente en volutes autour des notes de basse de George Duvivier, retour de l’alto dont la spirale de notes emporte l’auditeur dans un tourbillon sans fin.
Serene est une très belle ballade, sur laquelle Eric Dolphy joue de la clarinette basse avec un lyrisme magnifique, Roy Haynes joue toujours avec grâce et distinction, se combinant à merveilles aux cordes qui l’entourent, délivrant avec subtilité une certaine gravité au morceau. Le duo basse, violoncelle est tout à fait complémentaire, malgré que, dit-on, Ron Carter soit malade lors de ces sessions.
The Baron est un hommage d’Eric Dolphy à Charlie Mingus, son ex-boss, Dolphy est à nouveau à la clarinette basse en duo avec le violoncelle pour l’exposé du thème, très vif et « mingusien » bien sûr ! Le solo de Carter est exécuté sur un ton interrogatif, phrases courtes qui se terminent dans l’aigu, celui de Dolphy très classique, l’ensemble poussé par la basse chantante de George Duvivier, comme il se doit.
A nouveau Charlie Mingus à l’honneur, il est en effet le compositeur de Eclipse, qu’il vient d’enregistrer sur l’album Pre-Bird, cette pièce ouvre la seconde face, le violoncelle se fait mélancolique et même quasiment lugubre sur cette triste ballade empreinte d’une lourde gravité.
Complet changement de registre pour 17 West qui se montre joyeux et trépidant, Dolphy à la flûte y est vif et insaisissable, sa sonorité est douce et enlevée, poussé par la basse sautillante de Duvivier et le jeu tout en finesse de Roy Haynes. C’est du jazz de chambre qui est ici joué, le violoncelle intervient comme un métronome, apportant une certaine contradiction à l’insouciance de la flûte.
Sketch of Melba est une reprise de Randy Weston, c’est une jolie ballade, où Eric délivre, sur un beau thème presque romantique, un magnifique solo de flûte très lyrique, avec une belle mélodie très accrocheuse. Ron Carter lui répond sur le ton de la mélancolie, les sons du violoncelle se montrent ici graves et introspectifs. Un très beau morceau avec un Eric Dolphy extraordinairement brillant à la flûte.
L’album se termine avec le superbe Feathers, thème autrefois entendu dans l’orchestre de Chico Hamilton, qui conclue avec force et émotion ce bel album. On y entend l’alto trouver des accents mélancoliques, le lyrisme déborde et annonce une dimension de la musique d’Albert Ayler. En fait, on ne sait plus trop bien sur quelle case on est arrivé, partis du be bop nous voilà situés quelque part entre la musique de chambre et ce « third stream » dont on semblait vouloir jeter les bases à l’époque avec George Russell, John Lewis et Gunther Schuller…
Indiscutablement un grand album, chaque pièce est une réussite, hors des sentiers battus.

xeres
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le 29 févr. 2016

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