Moondance
7.7
Moondance

Album de Van Morrison (1970)

Hey there baby, listen to the Morrison

Il y a des êtres de lumière.
Pas au sens ésotérique et mystique du terme, mais des êtres qui le deviennent par illumination interne.
Van a probablement vu la lumière, et peut-être aussi son spectre, et ses diffractions.
Mais jamais il ne renonce au spectre de l'humanité.
Le Van a toujours gardé les pieds sur Terre, même au dessus de la Cité des Anges.
Son œuvre pourrait se résumer à une musique folle, joyeuse, triste et enivrante, empreinte d'immanence et de spirituelle perpétuité. Comme s'il avait vu le chaos se transformer en un éclair flamboyant et étincelant. Lorsque sa voix se cale derrière un micro surélevé, il rédige la parole de Dieu.
Il parle pour rien dire, il parle pour tout dire.
Ses gargarismes ne reflètent que son improvisation et son intronisation spéculative.
S'il chantait éternellement, il le fera.
Sa plume est la réflexion achevée et murie du concept de l'orgasme dionysien et de son ivresse que dépeint Nietzsche. Un bonheur immanent et saisissable, mais en prenant moult chemins de traverses.

Il m'a suffi d'écouter le morceau "Astral Weeks" pour comprendre l'envergure d'un tel personnage et d'un tel éclat de beauté. Le flot de poésie noué dans une mélodie à l'improvisation paroxyste, des mots parlés et des cris, du jazz et de la folk irlandaise, voilà une saugrenue recette, qui pourtant fait ici chaudron rempli. L'oreille attentive sera emplie d'une forte émotion sur tous les canaux cymatiques du corps humain. Voilà une musique qui résonne, une musique sanctuaire. On l'écoute, on apprend, on y retourne, on s'y sent chez soi. Et là je parle des 4 albums que j'ai écouté de ce génie.

Tupelo Honey est un très bon album sentant bon la country et le sud, au parfum des tamaris et des orangeraies californiennes.
Veedon Fleece est un voyage jazzy et soul dans un univers arthurien et celtique.
St John Domenic's Preview est un condensé du mysticisme astral weeksien et de la bonne humeur de Tupelo Honey, à noter que son meilleur morceau s'y trouve, " Listen to the Lion", encore au dessus que n'importe desquels rayons de soleil de Moondance.

Moondance, j'y viens. Une danse cosmique aérienne autour et à l'intérieur de la lumière. Cette fois Van ne se baigne plus, il plonge. Et l'amour fût. Il pourrait être une réincarnation de sage, le bougre. Il n'a pas le temps ni de temps, pas d'époque définie, il est perdu dans un vortex inconcevable lorsqu'il se met à faire frémir ses cordes vocales.
La nature le rend stone, et il décide de lui accorder un pamphlet panthéiste : "AND IT STONED ME"
Assuré par la présence des Dieux, et les arrières couvées par un armada de puissances stellaires, le maître avorte le concept par les paroles donnant lieu à création. Et la Nature fût, et Dieu fût. Par un chanteur des années 70, le monde se conçoit. Tout prend sens. les nuées laissent place aux poussières de la création, entamant le chantier du pavement universel. La Nature le remercie, il se baigne, plonge et reçoit le plus beau cadeau que les astres peuvent offrir, l'omni.
La musique inonde la Terre, et ses mélodies folk jazz soul celtique.
"Moondance" vient emboiter le pas, et construit l'érotisme. Après la création de la Nature, de l'Arbre de Vie, Adam et Eve prennent place dans une farandole musicale érotique et charnelle. Le désir et la passion, le Rouge et le Noir, l'amour brûlant, le corps à corps, l'étreinte d'une chaude brise d'été, et la Création se réjouit d'avancer.
"Well, it's a marvellous night for a Moondance, with the stars up above in your eyes."

"Crazy Love"
La définition pure de l'amour. Ici les complications sont prêtes à s'entrecroiser car les mots sont d'une grande faiblesse face à une mélodie si parfaite et creusée pour s'emplir d'un amour luisant même dans la plus grande pénombre. Une chanson d'espoir pour les âmes en peine, les égarés, les incompris et une ode à l'amour. Van Morrison est un Piaf irlandais. Morceau court, mais efficace et dans la continuité de l'érotisme pulsatile de Moondance.

"Caravan"
La caravane conduisant la nature et l'amour. La première trinité résolue, la renaissance peut-être entamée. Ici le manitou exporte ses concepts émis précédemment au sein d'une caravane avançant à la recherche du Soleil, et de sa bénite lumière. Van est en quête de spiritualité, de mysticisme, son chemin d'aventurier premier se conclut avec la prochaine piste, le faisant pénétrer "INTO THE MYSTIC". Joyau et tour de force de l'album, pièce maitresse, s'ouvrant sur une guitare acoustique, puis une douce batterie, et la voix de Van s'impose : "We were born before the wind, and so younger than the sun, as we sailed into the mystic". Le langage reste courant mais qui aurait pu écrire ça. Digne d'un Emerson ou d'un Byron, Morrison est parti sur les bateaux corsaires du XVIIème siècle pour aller trouver sa nymphe en s'amarrant et s'entichant des poussières sablonneuses. Celles ci s'accrochant à son âme, il est désormais inséparable de sa musique. Son épopée irlandaise continue et devient dansante, place à la valse des fleurs et une épiphanie mélodique comparable aux chants crépusculaires d'une ennéade d'oiseaux.

Come Running, Everyone sont des morceaux moins puissants car au final plus proche de ce que formera Tupelo Honey. Des mélodies plus country (alors que c'est habituellement ce que j'aime le plus) et plus éloigné de ce jazz pop éblouissant. Mais entre ces deux morceaux entrainants mais en position de faiblesse face à un album spectaculaire de magnificence, se cache un trésor caché, empli de pierres précieuses et de sable marquant au fer les traces des marins passés, n'ayant pas su capter la vibration d'une sonorité si belle : "THESE DREAMS OF YOU". Van remet le couvercle et "sailed/scelle" le trésor. L'emportant avec lui sur la plage et sa nymphe, la mêlant dans le mystique, en ressort une musique que l'on voudrait épouser, pleine de vie et d'amour fou. Et tout aussi grandiose, suit "Brand New Day".
Suivant l'avènement de son périple au sein du noyau et du joyau de la Terre, Un Nouveau Jour sur les Terres du voyage perceptif de Van. Les sens en extase, la voix rocailleuse et criante de vérité, l'évangile premier s'écrit. La Gnose n'est désormais plus qu'un concept, face à la mise en page du concept de la Création. Ainsi, sa plume s'enfonce dans les échafauds du Paradis. Une échelle pour aller au ciel et la mélodie du bonheur, prêt à rejoindre les enfants du paradis. Escaladant des montagnes, Gravissant des sentiers impraticables et graveleux, Van Mo trouve le ton et ne le perdra jamais.
Enfin, le final, Van offre sa miséricorde à notre monde ; "Glad Tidings". Pas le morceau le plus envoutant, mais qui a à offrir un texte sublime. Van mêle ici l'état de transe et l'amour, dans une seule valse, dansant avec les feux scintillants de la vie, comme un Créateur accompli qui aurait assouvi son plus grand désir : faire don de sa vie pour autrui.

Un bonhomme vraiment chaud (si l'on en croit les paroles).

Mais je n'ai pas terminé.

Son héritage n'est pas que Moondance. Si on devait introduire un jeune apprenti à cette musique divinement grande, "Listen to the Lion", "Crazy Love" et "Astral Weeks" , ce serait le meilleur départ.

La première est le reflet pur du panthéisme de notre cher auteur compositeur et très rarement juste interprète. Se prenant pour un lion, mugissant, rugissant, quittant la pénombre, il essaie de sortir de sa cage. Un morceau sur la libération de l'esprit, le corps comme une prison pour un objet vacillant inconnu et indescriptible, peut-être même imperceptible. Je ne suis pas dualiste, Morrison peut-être pas non plus, je ne fais qu'interprétation, car il n'y a là que matière à interpréter. Néanmoins, il en ressort que ce premier morceau passe pour une ode à la nature, au monde, comme un Tout. Mais un Tout qui a besoin d'unité. Intervient le panthéisme et la dualité. Mais si j'aime tant ce morceau, c'est car au fond je crois qu'il dépasse les concepts philosophiques acquis de l'Homme et qu'il est inclassable, même dans le paysage varié de Van, Listen to the Lion est un volcan exotique en irruption, hypnotisant par sa lave en effusion.

"Crazy Love" est quand à lui une ode simple à l'amour, qui nous montre qu'un texte simple, une mélodie assez dépouillée mais pas trop, et des chœurs féminins suffisent à faire ressentir une passion qui fait irruption au plus profond de soi-même, même de soi. Sans artifices et fioritures, la fleur musicale s'ouvre et laisse les pétales jaillirent d'elles-mêmes. Avec cette musique, la compo de Morrison n'a jamais été aussi florissante.

Puis vient "Astral Weeks". Un morceau à rallonge à la structure Jazz mais qui renferme au sein de son chorus et son ensemble, une sonorité folk. Ainsi vint le folk-jazz celtique. Car n'oublions pas cette ambiance campagnarde et irlandaise transpirante dans ce morceau. Les notes s'enchaînent, c'est limpide et désordonné, beau et sale, triste et poignant, touchant et déchirant, émotionnel mais cruel. Les semaines astrales, donc est un morceau sur l'achèvement et hors d'atteinte. Dans cette aventure, le personnage fictif s'imagine atteindre le Paradis et se rend compte qu'il n'est qu'un estranger pour le monde dans lequel il vit. Désirant s'enfuir, il s'élève vers une transe sans fin lui montrant les cieux. Cela pourrait être n'importe quelle idée d'ado rebelle de 14 ans que de se sentir étranger au monde. Cependant, ici la musique signifie plus. Dans le contexte musical de l'oeuvre,
Van décide de partir simplement en vacances pendant une semaine, dans le ciel. Il est conscient de la vie sur Terre, et ne se prend pas pour un être élevé à d'autres dimensions. Quand on l'observe en interview, c'est un homme humble et simple qu'on a là. Simplement, il baigne constamment dans un état que JE PENSE et je dis bien je pense, qu'il ne comprend même pas lui. Et c'est ici que je reviens à Glad Tidings, là ou il parle de laisser les gens pénétrer leurs mystiques respectives, et non pas de se limiter à ce qu'il leur est imposé. Laissons les gens transer ! Laissons les gens aller droit à l'extase, laissons les gens s'émouvoir sans s'enfermer dans des carcans moraux pudiques, de mondanité sociétale ou être touché est parfois vu comme une faiblesse, notamment pour les Hommes à l'époque. La musique de Van est un constant laissé aller, comme un océan sans fin qui prendrait sa source dans les confins d'une région cachée et inexplorée, une région que seul un être connaît. Mais au final, cette région chacun la connaît, car chacun, au travers de la perception sensorielle, la crée.
Ici, l'auteur nous invite à créer notre univers insulaire musical, et à rentrer "into his mystic".

Je conclurai par cette phrase : Van Morrison c'est comme une séance d’acuponcture musicale, on en ressort plus fort énergiquement, et chaque écoute nous fait découvrir un nouveau point musical jusque là inconnu.

Edit : Astral Weeks est désormais écouté, et c'est clairement le meilleur album sur Terre.

PaulClair
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le 17 juin 2023

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