Modern Primitive
7.2
Modern Primitive

Album de Septicflesh (2022)

La chair est pourrie, le fruit reste intact

En démiurges omnipotents, ils fendirent les cieux et traversèrent les épaisses ténèbres, longèrent le Styx et pénétrèrent dans les limbes. De là, ils n’avaient que quelques foulées à accomplir afin de rencontrer l’escalier graisseux qui les mèneraient droit aux portes des enfers.

Fers de lance du death symphonique terrestre depuis leur revirement de Sumerian Daemons (2003), les athéniens de SepticFlesh nous avaient délivré deux énormes claques liturgiques : le brutal (et souvent jugé indétrônable) Communion en 2008, et la consécration populaire du très lyrique The Great Mass (2011). En dix ans, la violence sombre de Seth « Spiros Antoniou », tête pensante, bassiste/chanteur et graphiste du groupe n’a pas tarie : le monolithique Titan, sorti en 2014, avait réussi à rester dans la continuité désormais très calibrée et mainstream de l’opus précédant, tout en enflant davantage sa bileuse drama orchestrale. Puis, Codex Omega avait en 2017 tourné davantage son regard aliénoïde vers une musique plus brutale et incisive, moins cinématographique et philarmonique – la venue du pilonneur de batterie Krimh ayant participé à cet infléchissement. L’album était puissant, frais mais un peu inégal sur sa seconde partie.

Nous voilà donc 5 ans plus tard, avec une pandémie ayant retardé l’avènement d’une nouvelle offrande aux divinités païennes. C’est chose faite avec Modern Primitive qui, comme son titre l’indique, tente une synthèse des dichotomies grisantes et chaotiques d’un monde en désolation finale.

Que vaut l’opus ? Il se veut un pont entre Communion et The Great Mass. Du premier, il en partage la célérité (9 titres pour un peu moins de 40 minutes de musique, c’est très -trop- racé). C’est aussi une collection de morceaux très veineux dont la dynamique palpite constamment, malgré une technicité et une vélocité assez tempérée. Du second album, il en épouse la grandiloquence néo-classique, l’accessibilité mélodique et les senteurs folk antiques (pas mal d’instruments ethniques ont été utilisés, bien qu’accessoirement).

L’album s’ouvre avec un titre résolument fort : le massif et noueux The Collector, dont le refrain et les riffs caverneux résonnent encore çà et là, bien que la glaise que l’on garde entre les doigts ne soit en aucun cas inconnue. Dès le titre suivant, l’extrêmement bien entortillé Hierophant, on sent le propos de SepticFlesh : servir une sonorité classique et typique du groupe, entre brutalité funeste et élévations orchestrale primales, le tout enchapé dans un format, une production et des enluminures lyriques très proprettes (NuclearBlast, forcément). En aucun cas SepticFlesh renonce à sa fame kitsch et à ses strass et paillettes, qui sont grises et rouille certes, mais d’autant plus éclatantes ici qu’elles sont condensées dans des titres où absolument rien ne dépasse, où carrément rien ne s’échappe … et c’est la peut-être là le grand déshonneur que SepticFlesh fait à sa musique pourtant si puissante et évocatrice : tremper la chaude tartine du cataclysme dans le doux breuvage du conformisme commercial. Sur ce point, Modern Primitive échoue là où Codex Omega tentait un timide affranchissement des règles. Du passé underground et gothique des 5 premiers albums, il ne faut évidemment rien conter, si ce n’est ce sens des hymnes crépusculaires et romantiques à l’excès – mais c’est bien ce que l’on aime aussi chez eux.

Malgré cela, le reste de l’album cavale avec une fièvre constante : Self-Eater menace par sa pompe profane, éclate par son aura épique. Avec ses chants féminins invoqués et ses cordes raclées jusqu’à la dernière fibre, c’est le refrain le plus mélancolique et cérémonial – façon apostasie - de l’album. Neuromancer remet rapidement les nerfs en état de dislocation avancée, donnant du riff distordu et du breakdown en veux-tu en voilà (ce qui rappelle encore Communion, mais quel plaisir !) – le refrain scandé fait son petit effet et le format « 5 minutes » permet à la composition de pleinement se débattre puis s’exprimer.

Coming Storm commence avec une surpuissance de blast magistrale, restant sur une corde très rapide et parfois étonnement black metal. C’est un des rares titres qui n’est pas mid-tempo et dont la partition symphonique semble être prédominante – comme elle l’était souvent sur Titan. Et là, franchement, on prend un pied immense, car enfin l’âme de la chair métallique se met au service de la nécropole orchestrale, car enfin toute la valeur et la saveur de l’appellation « symphonic death » se met en branle. Epique, violent, changeant, c’est le titre le plus évocateur de ce que SeptiFlesh devrait davantage être.

Puis, deux morceaux plus anecdotiques suivent : A Desert Throne, convainquant du reste mais au refrain qui sent un peu trop l’autofellation. Reste un breakdow assez démoniaque… mais là encore, pourquoi ne pas l’avoir mis davantage en exergue avec un renflement de cuivres et de percussions par exemple ? C’est parfois assez frustrant de penser que le groupe s’offre sur chaque album le luxe d’un réel orchestre symphonique, et que ce dernier se retrouve une fois de plus souvent en toile de fond, en simple accompagnement des guitares, du chant et de la batterie qui tonnent toujours plus fort, encore et encore – sur ce plan-là, même Epica ou Dimmu Borgir font mieux, pardon. Peut-être viendra un jour où l’écorce symphonique primera sur la sève rock ? Ce serait alors si grisant, si rafraichissant. Le second chétif est Modern Primitives, homérique à souhait mais pas audacieux pour un sou. Le chant de Sotiris fait frémir (c’est d’ailleurs très plaisant de l’entendre sur quasiment tous les titres), contrebalancé aux growls bestiaux de Seth (qui sont, rappelons-le, parmi les meilleurs de tout ce que le metal peut offrir à nos pâles et délicates zoreilles).

L’antépénultième titre, Psychohistory, est un petit OVNI par sa brutalité et sa promptitude, faisant presque penser aux invectives nettement plus féroces de l’album Communion – on pense à Babel’s Gate notamment. SeptiFlesh fait savoir qu’il demeure ancré dans une base faite de miasmes cadavériques, de fracas osseux et d’exhumations sépulcrales. Enfin, l’album se clos avec A Dreadful Muse, savamment placé en fermeture du bal boiteux, car le titre offre ce que SepticFlesh peut faire de plus emphatique, mariant l’élancée violoneuse avec la cavité d’un death venimeux aux mélodies étourdissantes. On pardonne alors à la bête ses errements, ses analogies, ses hésitations et ses tourments, et même si l’on aurait aimé que le titre explose encore plus dans le gargantuesque, c’est un beau dénouement que voilà.

Modern Primitive a donc fait l’effet escompté par son créateur : offrir un pont parfaitement cimenté entre l’homérique épopée et la dantesque putréfaction. Malgré tout trop condensé, trop prévisible et trop sage, Modern Primitive satisfait sans combler. Il n’est pas l’album de la catharsis créative envisagée, mais reste un solide pilier d’une discographie efficacement parcheminée. Gloire aux dieux du genre, à qui on ne volera pas d’aussitôt le trône, mais prions encore pour qu’advienne leur fébrile rédemption.

FlorianSanfilippo
7

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Créée

le 22 mai 2022

Critique lue 54 fois

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