À la fin des années quatre-vingt-dix, Dream Theater fêtait ses dix ans de brouhaha et de riffs électriques, éclectiques et athlétiques. Mais pas de panique ! Une décennie… vous pensez ma bonne dame ! L’heure de la mise au point était pourtant venue. Un recadrage en règle après cinq albums (inégaux) qui avaient forgé l’identité ferrugineuse d’un groupe ambitieux dont le nom poussait bien au-delà de sa flatteuse réputation.
Il faut dire que les timoniers en question puisent depuis leurs débuts une mixture musicale faite de virtuosité intense bâtie autour d’une histoire d’étudiants. On pourrait même y voir le cas classique d’une aventure de lycéens qui aurait bien tourné. Mais l’école en question se nomme Berkelee et, en gros, elle transforme (chèrement) un musicien sans poils au menton en poids lourd de la chose. Dans cette logique diplômante, Dream Theater choisira l’option “gros son” en seconde langue.
Et entre ces zigotos, la température ne retombe que très rarement avec un goût certain pour la double croche piquée et la sueur dans des productions de plus en plus contrôlées où fleure l’exaltation barbare d’incessants assauts soniques. Poussé par la parenthèse expérimentale du Liquid Tension Experiment qui réunissait une partie du groupe à Tony Levin, la tête bicéphale du théâtre Mike Portnoy / John Petrucci recrutera Jordan Rudess (connu alors pour son association avec Morgenstern) suite au désistement amical d’un Derek Sherinian envolé sur d’autres projets (Planet X, carrière solo, Billy Idol).
L’arrivée du claviériste au style pas franchement ramollo permettra aux synthés de redécoller sur une piste d’envol idéale. Son absence des premières maquettes n’y changera rien. En revenant sur les terres épiques de son titre culte « Metropolis » (dépositaire de la bombe Images and Words sortie en 1992), Dream Theater allait cette fois sceller une suite cinglante et remuer les tombes conceptuelles en invoquant un synopsis tout droit échappé du film Dead Again de Kenneth Brannagh (1992) : une pétarade sur la régression par hypnose d’un jeune gars prénommé Nicolas, pas jardinier pour un sou, mais perturbé par les souvenirs confus d’une vie antérieure reliée à un crime passionnel.
2 actes et 12 tableaux “brut de pomme”.
Cohérents. Inventifs. Les musiciens négocient leurs influences (Zappa, Yes, Rush, Pink Floyd, Kansas, Metallica) avec une verve inédite, franchissant des caps inattendus. La fluidité des assauts redéfinira la dextérité du rock hargneux sans sacrifier à l’émotion. Une première. On l’aura compris, avec ses textes bien sentis, ses ambiances au garde à vous, les new-yorkais affermissaient leur esthétique dans une charge sidérante au point de révolutionner un genre moribond et de se réinventer eux-mêmes le long de plages de sable fin (“Through Her Eyes“, “One Last Time“) ou aux abords de fonderies (“Beyond This Life“) en touchant au passage quelques hallucinogènes sauce piquante (“Home“).
Sans jamais faiblir, les morceaux de bravoure et pièces de choix défilent avec, pour les plus déglingués, le point d’orgue sinueux “Dance of Eternity” qui ouvrait de nouveaux champs d’exploration. Scenes From A Memory tissait alors ses barbelés entre le rock progressif classique et l’acier trempé. Un mélange programmé pour imploser mais dont le calibre reste aujourd’hui encore une référence incontournable et le sommet d’un groupe majeur.
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