Lulu
7.4
Lulu

Album de Saez (2017)

Lulu : nom maudit pour un disque (cf Metallica & Lou Reed)

Il y a dans la carrière d'un artiste une apogée qu'on aimerait voir durer toujours. Pour Saez, elle a pour nom Messina. Ce sont toujours des moments de grâce, dans lesquels tout résonne comme l'aboutissement d'un monde. Et puis il y a le déclin et ces moments difficiles où l'on redoute l'auto-parodie, où ça ne prend plus. Mal d'inspiration ? Manque de spontanéité ? C'est Lulu, mais avant cela l'Oiseau liberté. Outre un aspect politique que j'ai longuement discuté dans une précédente chronique sur l'Oiseau liberté, Saez s'essouffle. Sa passion, son verbe, jusqu'alors illimités, se ménagent ici. Saez tire sur le filon encore un peu, il tape sur la bouteille de son inspiration pour en faire sortir les dernières gouttes. Cela ne suffit pas pour désaltérer un homme.


Peut-être pas aussi mauvais que l'Oiseau liberté, Lulu n'en reste pas moins insipide, à côté de ses pompes. Et la sincérité semble céder à des réflexes, des constructions toutes faites, tant au niveau du son que du texte. L'âme n'y est plus tout à fait, et c'est difficile de croire à tout ce qu'il nous propose. Saez doit faire du Saez, et Saez semble initier son baroud d'honneur à contre-coeur. Ce Manifeste est le tour de trop. Où est le plaisir ? On sent un Saez forcé de travailler, forcé de contenter ses fans. Saez annonçait pourtant quelque chose de grand, quelque chose de géant ! La déception est au rendez-vous, mais aussi la tristesse. Et si les plus grands fans de Saez s'efforcent à défendre leur idole coûte que coûte (il y a rarement plus féroce qu'un fan de Saez), c'est pour ne pas laisser l'aveu de la mort de cet artiste se diffuser et devenir leur réalité. Le génie ne devient plus qu'une lointaine chimère qu'on entretient comme un souvenir à réactualiser.


Que retenir concrètement de cet album ?
Le format est déjà bien connu de tout fan de Saez : un triple album, comme pour Paris-Varsovie-L'alhambra et Messina.


Mon Européenne.


Quelques morceaux recyclés de l'Oiseau liberté, à mon plus grand désespoir... Puis des morceaux à la guitare acoustique avec plein de choeurs qui ont l'ambition de devenir des hymnes. Un long morceau-fleuve (Peuple manifestant) au propos populiste sur-répété ponctué de "putain" et de "salope", avec plein de passages parlés. Un morceau qui parle d'alcool (Rue d'la soif), avec une mélodie celtique vraiment pas mal pour le coup, même si le propos me semble un peu infantile "on est bourré comme des tonneaux". Un premier disque, Mon Européenne, vraiment pas fameux, qui croise rock, mélodies entraînantes, avec une ambiance bien fade.


Lulu.


Après Aux encre des amours de l'album Messina, Saez tente un Au cimetière des amours, plutôt agréable à l'oreille, bon, mais pas vraiment surprenant. P'tits bouts de paradis présente une mélodie enchanteresse, malgré des tics de langage et des formulations un peu maladroites. Les amours mortes, criard, que l'on pourrait prendre pour une parodie de chanson française tellement le tout semble faux. Lulu, morceau éponyme vraiment chouette, mais que l'on pourrait prendre pour un remake de Manu de Renaud. D'ailleurs ce ton rocker acoustique un peu à l'arrache se retrouve dans Ma gueule et Pleure pas bébé (morceau qui me semble vraiment extrêmement cliché). En somme, un second disque Lulu plus acoustique mitigé, avec ses morceaux-produits qui ne font que singer un style et un univers.


En bords de Seine.


On commence avec un morceau de 15 minutes sobrement intitulé Tristesse. Le tout sonne assez cheap, le piano manque de profondeur, et la batterie ressemble à une boîte à rythme de Guitar pro. On croirait entendre une démo pour un logiciel de création sonore. Spoil : le piano s'emballe à un moment. Il y a de l'idée mais on sent le gros manque d'inspiration. Pour la suite, La neige continue avec cette tradition de titres ridicules. On a un peu l'impression d'entendre Saez nous dire : "Puis merde, rien à foutre des titres !". Le tout est un peu plus écoutable mais pas passionnant, on a perdu ici la fougue et l'enchantement mélodique des morceaux au piano de Messina. Le tout est assez plat. Notre-Dame Mélancolie, outre un titre tout aussi pourri, tente quelque chose de plus emporté, avec une voix plus entraînante. Mais encore une fois, les paroles font défaut et s'enfoncent dans la facilité. Matins de neige (non mais POURQUOI ces titres ?) propose une petite musique mélancolique, déjà entendue mais en moins bien. En bords de Seine est tout à fait agréable pour un final au piano galopant vraiment délicieux. Si c'est juste non, un morceau too much et cacophonique, comparable à une choucroute au cassoulet. Il ne fallait pas. Bref, un troisième disque En bords de Seine tout aussi mitigé que les précédents.


Saez s'est perdu, ne sachant plus vraiment où aller, essayant tant bien que mal de se raccrocher à ce qu'il savait faire. Sa musique a perdu sa foi en elle-même. Et c'est avec une grande tristesse que j'ai accueilli ce disque, comme le précédent. J'aurais aimé entendre un Saez qui revient par pur plaisir et pas parce que "la situation politique" le demande, comme il l'a expliqué à ses fans avant l'annonce du Manifeste. Un Saez qui annonce qu'il s'agira après cela de son dernier disque, est un Saez qui s'en va déjà un peu, qui n'est plus tout à fait là, qui n'a peut-être plus l'envie. Heureusement, il y aura toujours des fans contents. Pour ma part, je m'interroge. Lulu est un nouveau "discours" dans lequel je n'arrive pas à rentrer, un "discours" que je n'arrive pas à croire, n'étant peut-être pas assez naïf. Ce "discours" peut être interprété en trois mots : "Saez est mort". Ces mots font mal, mais ils sont bien là, et les multiples écoutes ne suffisent pas à faire revivre le cadavre de ce saint mort.

King-Jo
5
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le 13 mars 2017

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King-Jo

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