Johnny Dyani, Mal Waldron – Some Jive Ass Boer "Live At Jazz Unité" (2001)
Voici un album du duo Johnny Dyani et Mal Waldron, enregistrés en live le seize avril mille neuf cent quatre-vingt-un au Jazz Unité (Paris-La Défense). Christian Terronès a enregistré l’événement, ce soir-là, se disant que peut-être, un jour, ces bandes seront publiées, ce qui fut le cas, sur le label « Marge », dirigé par le mythique Gérard Terronès, qui fit tant pour le jazz français et la scène parisienne.
On y entend Johnny Dyani, que nous connaissons bien maintenant, jouer de la basse, en compagnie du pianiste Mal Waldron. Ce dernier est une institution, il a déjà été évoqué ici, souvent pour ses fabuleux duos avec Steve Lacy, mais on aurait pu parler de son album « The Quest » enregistré en soixante-deux avec … Eric Dolphy ! Pour épater encore on pourrait remarquer qu’il fut le dernier pianiste à accompagner la grande Billie Holiday, entre cinquante-sept et cinquante-neuf, mais il y a tant de pages à lire sur sa discographie que je passe mon tour…
Mal Waldron a également enregistré pour le label « Futura » de Gérard Terronès, ce dernier était pourtant du genre précurseur, offrant des tirages souvent de petite envergure, mais Mal ne s’intéressait qu’à la musique et peu à ce genre de détail… Ils s’appréciaient, cela suffisait.
Il faut également parler du titre trois, « Makulu-Kalahari » de Johnny Dyani, car la formation se modifie, Pablo Sauvage joue des percussions et Johnny chante et joue du piano. C’est un très beau titre plein de cette « africanité » que nous aimons dans le jazz.
Pour rester sur ce continent il suffit d’ouvrir la pochette du Cd, où une lettre manuscrite de Johnny Mbizo Dyani est dévoilée, elle indique le titre de l’album et parle du « Boer », ce hollandais venu coloniser l’Afrique du Sud et y installer l’apartheid. Il est comparé à un « loup, un être au cœur aveugle », Johnny évoque la fuite de son pays, l’arrachement qui suivit, et son horreur de voir des touristes aller y passer des vacances…
Toutes ces pensées sont présentes dans sa musique, dès le morceau d’ouverture, le très beau « Safari » signé par les deux musiciens, avant qu’ils n’interprètent « African Cake Walk » de Mal Waldron. Cette musique est de lutte et de témoignage, même si elle reste instrumentale. Les deux s’écoutent et improvisent sur « Strange Intrusions » par exemple où le dialogue est fécond, grave, avec un côté obstiné, désespéré et même dramatique, qui pointe dans les échanges, comme si défilait la bande sonore d’un film muet dont on imagine les images.
Puis vient la pièce emblématique de Mal Waldron « Blues For Mandela » qu’il est impossible de ne pas jouer, avec ses presque onze minutes c’est l’une des plus courtes ici, mais elle fait plaisir car ce blues est presque joyeux en regard de la pièce précédente. L’album se termine par la pièce la plus longue, « Time Will Tell », un titre prophétique qui porte la certitude que tout se saura et s’améliorera à la lumière du jugement du temps, bien que l’oubli, lui aussi, fasse également son œuvre.
Un album remarquable, intense, mais on n’y rigole pas trop.