Lithopédion
6.7
Lithopédion

Album de Damso (2018)

Damso est une énigme. Qui est-il ? On peut obtenir plusieurs réponses à la question comme par exemple :


" Damso, c'est un génie wallah, trop fort, gros flow, grosses instrus, un vrai renoi mon frère !" Jean-Kévin


" Hein ? Nan mais t'facon le rap fr depuis IAM et NTM c'est nul je considère meme pas ce type. D'ailleurs c'est pour ça que j'ai jamais écouté." Jean-Eudes


" Nan mais trop pas mais oh ! Vous avez pas honte de me poser cette question ? Damso incarne la mysoginie et tout ce que l'homme à de plus infâme envers nous les femmes, d'ailleurs je vais aller créer un hashtag sur twitter tout de suite." Faustine


Malheureusement, aucun de ces personas n'a la réponse à cette question. Enquête.


Damso, c'est un flow maîtrisé et une voix douce, contrastant avec des textes et thèmes décomplexés et affranchis de toute limite morale et éthique. Le belge écrit sur les aspects les plus sombres de la condition humaine, de sa nature et du monde qui l'entoure. Si Batterie Faible (2016) et Ipséité (2017) sont des succès commerciaux, c'est parce que Damso a surfé sur la vague trap qui s'est emparée du paysage rap en France depuis quelques années. Chacun des fan de Dems a pu y trouver ce qu'il voulait : des productions à faire trembler en repeat les vitres de la Xantia, des textes d'une rare violence bercés par le flow talentueux qu'on lui connaît etc.. Ce qui m'a interpellé, c'est la justesse de sa plume, la mélodie de ses mots au service du "sale". Reprochons lui de s'être gavé grâce à des "Débrouillard","Bruxelles Vie" ou encore "Périscope", écrits sans véritable fond mais tellement bankables (vas-y Jean-Eudes, lâche-toi) ! Si l'artiste se dévoile un peu plus sur Ipséité, le thème principal reste incontestablement le même : les femmes.


Damso revient donc un an plus tard avec Lithopédion, son troisième album studio. Première écoute, et stupéfaction. Nous ne le connaissions peut-être pas. Damso nous livre quelque chose de déconcertant, et êtrangement, le clivage n'est pas si conséquent que j'aurais pu immaginer. Si à la première écoute j'ai regrétté l'absence de rap pur et dur, de hochements de tête sous grosses basses (oui j'ai honte de l'avouer), c'est deux ou trois replay plus tard que je commence à saisir la portée de l'oeuvre. Damso est affranchi de ses codes, et nous livre ce qui se rapproche, je crois, le plus de son véritable univers musical. Terminé ou presque les prod aux basses sur-amplifiées, l'ambiance est beaucoup plus planante, parfois oppressante, parfois légère. C'est un pari que fait Damso, puisque pas moins de 20 producteurs sont crédités sur l'album. Une variété sonore qui pourrait déconcerter tant on n'y était pas habitué, une incohérence qui à mon sens pourrait aussi bien rassembler que diviser.


Lithopédion est une oeuvre beaucoup plus personnelle. Là ou on pouvait lui reprocher une écriture peut être trop précise au service de thèmes durs, Dems est içi plus libre et laisse ses mots sortir sans complexes. L'album est suivi d'un fil rouge : la dualité, l'artiste et la personne, Damso et William. Si on connaissait bien Damso, c'est William qui n'était jamais vraiment apparu à nos yeux.


Dem's nous parle de racisme et d'indifférence


C'est rien d'bien méchant, il m'a juste traité d'nègre des champs (...)
Quatre, zéro, zéro année mais c'est rien d'bien méchant non plus


des vices les plus noirs des hommes, qui prend forme en la dans Julien, ce son déstabilisant qui approche les pédophiles d'un oeil incroyablement objectif et impartial


Quelle vie vit-on quand on n'a pas la vie qu'on veut ?
Qui sommes-nous quand on n'peut être que c'que l'on peut ?
Enfermés par les dogmes et code sociétal
Cloisonnés par l'effort d'être ce qu'on n'est pas


de la lâcheté des hommes


La vie qu't’as choisie n’est p't-être pas la bonne
Tu vis par principe, tu ris mais t’es triste
Tu jouis sans plaisir, elle aime parce qu’elle insiste
La fille qu't’as choisie n’est p't-être pas la bonne


C'est bien en revanche William qui va se révéler le plus intéréssant à découvrir tant on ne le conaissait pas. On le comprend bien plus fragile sans sa couverture, qui rêve d'évasion :


Le monde, le monde, le monde
Un pavillon de haine
Le ciel, le ciel, le ciel
Un festival de rêves


William nous parle de ses choix :


Au daron, je n'ai pas fait honneur
Mes valeurs dans un coma


C'est une première, d'entendre son véritable rapport aux femmes. Cette violence envers la gente féminine n'est qu'une carapace, et il l'avoue ici à demi-mots. Il nous parle de sa relation avec la mère de son fils, de sa rupture, de la solitude qu'elle à engendrée :


J'ai brûlé tes lettres dans un feu de bois
Mais j'ai toujours en tête nos jeux de voix
J'ai suivi l'oseille, toi, la fée des bois


Mais surtout, il se livre totalement, dans un des morceaux forts de l'album : William .


J'aime trop la femme pour en aimer qu'une : mon plus grand défaut
J'aime une femme mais c'est compliqué, c'est très compliqué
Elle sèche ses larmes, elle a abdiqué, sait qu'on va s'quitter
C'est beaucoup plus dur que c'que j'pensais d'avoir un enfant
D'aimer sa mère mais de s'séparer, pour mieux vivre ensemble


William Kalubi, et Damso, c'est bel et bien deux personnes distinctes. William, humain torturé à la recherche de lui-même, et Damso, son alter-égo fort et insensible, celui qui à du affronter les galères pour arriver au sommet, celui qui collectionne les femmes, et qui malgré le succès et l'argent est conscient de ce qu'il ne pourra jamais rendre :


J'suis criblé de dettes, des "j't'aime" non-dits


En conclusion, Lithopédion est à mon sens un album expérimental abouti musicalement parlant, parce que Damso a peut-être attendu la fanbase et le succès suffisant pour s'essayer à un tel projet. Les productions choisies par l'artiste peuvent déranger ou diviser tant elles surprennent et ne ressemblent pas à ce qu'il nous avait livré jusqu'a maintenant, d'ailleurs je ne comprends pas toutes ces remarques lui reprochant de ne pas se renouveller tant j'ai moi-même été surpris. Mais là où Lithopédion est un vrai succès, c'est dans le fond. Dans ses textes et dans la façon dont l'artiste se livre à nous. Je n'ai pas peur de dire aujourd'hui que Damso est un poète moderne, à sa façon, et que derrière le personnage aimé et adulé, mais aussi critiqué et montré du doigt, il existe un homme sincère, qui n'est pas aussi nwaar que son alter-égo.


J’passe trop d’temps à être c’que j’suis pas
J'finis par croire qu'j'le suis vraiment

JéromeGé
8
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le 22 juin 2018

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JéromeGé

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