Pour commencer l’année, je voudrais vous conter l’histoire d’une figure populaire, presque iconique, de la culture berbère et algérienne. L’histoire de Matoub Lounès, auteur-compositeur-interprète et poète kabyle, mais aussi homme de convictions et combattant de la liberté d’expression. Il a marqué plusieurs générations par sa voix et son engagement nationaliste et pour la reconnaissance de la culture amazigh, ainsi que pour les droits individuels du peuple algérien en général. Déjà impliqué dans les combats sociaux et les manifestations de 1988, qui lui auront d’ailleurs valu 5 balles auxquelles il survécut miraculeusement, il est poignardé dans l'enceinte même d'une brigade de gendarmerie en 1990, et en 1994 il est enlevé par le GIA (Groupe Islamique Armé) et séquestré pendant 15 jours. Il continua pourtant de se lever contre le pouvoir en place d’un côté et contre la menace islamiste de l’autre.


La musique de Matoub est comme sa culture, multicolore. Elle mélange la musique kabyle, le chaâbi (genre musical né à Alger), les sons modernes, et utilise pour cela une grande variété d’instruments traditionnels ou modernes : la derbouka, le quanoun (cymbalum) ou le banjo, ainsi que la basse ou le synthé, mais il jouait surtout exceptionnellement du mandole (instrument de musique à cordes pincées d'origine algérienne). Sa voix envoûtante fait danser ses mots pleins de poésie. Il était du reste considéré comme un virtuose du verbe tant ses textes sont recherchés et inspirés, remplis de vérités et de métaphores. Il aborde dans ses paroles divers sujets, passant de la liberté à l’amour, de la démocratie à la religion, de l’amitié et de la famille à l’exil et à l’histoire. Défenseur des droits de l’homme, il a mis sa vie en jeu en criant haut et fort ses convictions et sa soif de démocratie et de laïcité pour son pays.



Je suis de la race des guerriers. Ils peuvent me tuer mais ils ne me feront jamais taire. Je préfère mourir pour mes idées que de lassitude ou de vieillesse dans mon lit.



Icône de son vivant, il devint idole après son assassinat en 1998. Libre penseur et poète naturel, il a laissé des cœurs orphelins. Proche du peuple, il fut l’ami ou le grand frère de milliers de personnes. A sa mort, chaque foyer kabyle a cru perdre un membre de sa famille et des centaines de milliers de gens lui ont rendu hommage. L’album Lettre Ouverte Aux…, sorti quelques semaines après sa mort, fut son dernier message au peuple, au gouvernement, aux islamistes. Incisif, il dénonce les abus des gens du pouvoir, leurs désirs d’arabisation et de restrictions, leur mainmise après le combat pour l’indépendance du pays, en particulier dans le long poème chaâbi "Tabratt i lḥukem" (Lettre ouverte) qui se finit sur une parodie de l’hymne national algérien. L’album est musicalement riche et ses mots résonnent, encore aujourd’hui, comme un testament qui incite à se battre pour ses idées et ses libertés.


Il est vrai que la langue est dans ce cas une barrière à la compréhension du culte voué à Matoub, mais la musique et l’interprétation du poète pourraient réussir à faire frissonner les amoureux de la musique d’un monde sans frontières.


Ayen ayen (Pourquoi)
Monsieur le Président (avec sous-titres français)

Lilange
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le 1 janv. 2017

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