Anne James Chaton, Andy Moor - Le Journaliste (2009)


Voici album du duo Anne James Chaton, poète, récitant et Andy Moor, Guitariste et membre du groupe Hollandais « The Ex ». Les deux sont également équipés d’ordinateurs qui permettent de nombreux effets, bruitages et autres. Ce genre de skud c’est fréquemment classé « musique expérimentale » faute de trouver la bonne case.


Je vous ai déjà parlé de ce duo que j’apprécie, « Le Journaliste » est assez ancien puisqu’il date de 2009, pendant les années Sarko, on en parle sur le Cd. Malgré que je me le sois procuré assez récemment et que treize années se soient écoulées depuis son apparition il conserve une grande partie de sa force et de son actualité. Les thèmes abordés, bien que nés dans un temps éloigné, intéressent tout autant « le journaliste » d’aujourd’hui.


C’est la force de la poésie, fut-elle incantatoire, répétitive ou matérielle, de résister à l’abrasement du temps qui passe. Un bel exemple nous est proposé ici. « Le Journaliste » ici, c’est le poète, Anne James Chaton lui-même qui scrute, analyse, dissèque et dénonce les travers de nos sociétés. Ainsi dès le premier titre il se met d’emblée en scène et se lance dans une énumération rapide et rythmée, d’adresses, de données chiffrées, titre de journaux, numéros de téléphone, ticket de caisse, carte bancaire et son numéro, types de paiement, heures dans la journée, bref des écrits de la vie quotidienne.


Au milieu de ce déluge de données variées qui nous inondent, une phrase émerge soudain qui prend place à volume égal dans ce déchaînement sonore : « La tradition de la trahison », maintes fois répétée, jusqu’à ce qu’on entende « la librairie Gilbert Joseph » et le flux reprend son cours jusqu’au « Merci pour votre achat » qui clôt la pièce. C’est l’un des textes tirés de la série des cent portraits réalisés par Anne James Chaton.


L’effet ressenti est celui d’une immersion dans un monde où tout bouge et va très vite, comme si nous étions livrés à une sorte de lessiveuse, jusqu’à l’essorage, l’essentiel n’est plus là, dévoré par tous ces chiffres, ces données inutiles qui nous encombrent la vie, cette aliénation du quotidien. Anne James Chaton ne nous livre pas son message directement, il nous plonge dans un climat et nous fait ressentir physiquement les choses, c’est terriblement efficace et habile. Tout tient dans cette voix et cette diction qui nous privent de notre humanité, de sentiments et de sensibilité.


Andy Moor procure un environnement sonore qui souvent nous plonge dans une sorte d’hypnotisme, il crée des rythmes, des phases répétitives souvent évolutives qui avancent par petites touches et nous plongent en objets réceptifs à ce qui passe par le canal auditif, la multiplication des informations livrées par le récitant sont alors reçues, tel un flux d’où émerge une partie de ce qui est dit, qui parle plus directement à notre inconscient.


Le titre sept « Newspaper » est une lecture des titres que l’on trouve dans un journal, parmi eux on entend « La tradition de la trahison », et plus loin « Le Système Sarkosy » maintes fois répété, comme sur un vinyle rayé, puis des paroles revendicatives et déclamatoires d’un certain « Jean Marie B. », et à gauche, une petite voix qui murmure « elle flirte avec les lignes »…


Cet album est une expérience dont le but est de nous inciter à former notre esprit critique et à hiérarchiser les informations, par exemple dans un quotidien. L’album est très réussi, à signaler le titre « Scoop » qui est uniquement instrumental.

xeres
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le 5 nov. 2022

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