Kãrtëhl
7.2
Kãrtëhl

Album de Magma (2022)

Les revoir sur scène en ce samedi 7 octobre 2023 à la salle Pleyel après tout ce temps m’a laissé une impression à la fois de joie et plus étrangement d’inquiétude et de résilience. Joie bien sûr car Magma en live ça envoie la patate bien sûr, mais inquiétude face au fait que pour la première fois, la fatigue physique commence à se voir sur le visage des plus anciens membres (quand on ne le place pas devant une batterie, Vander commence à accuser son âge, quand à Stella, ça se sentait qu’elle avait un peu de mal sur scène).


Le fait que la première partie du concert attaquait une version acoustique de Mekanïk Destruktïw Kommandöh à 7 membres basée sur 2 pianos (Vander tenait le piano de gauche et l’on a tendance à l’oublier mais c’est aussi un excellent pianiste) et les chœurs était certes très belle mais malgré les moments de grâce, tout le public s’embêtait un peu par moments pour rester poli. Surtout que même épurée et sous cette forme, Mekanïk quoi, on pouvait s’attendre presque à un piano détruit façon Wurdah ïtah (1) ! La seconde partie où l’ensemble de tous les musiciens de Magma, cuivres compris (Mekanïk quoi !) donc 16 personnes quasiment sur scène, livrèrent une version dantesque et puissante nous rassura un peu plus.


Mais le fait était là et les dernières productions de Magma tendent à partir vers cette hypothèse : Celle d’un groupe faisant probablement lentement ses adieux et alternant entre créations nouvelles (une partie de Kãrtëhl, Slag Tanz, Félicité Thösz) et refonte, retravail d’anciennes compositions parfois inachevées, parfois inédites (…une partie de Kãrtëhl, ZËSS – que je considère comme le dernier chef d’œuvre de Magma au passage c’est dire la haute estime de cette œuvre que je trouve magistrale de bout en bout --, Rïah Sahïltaahk). Après on est content bien sûr, voire plus que contents quand on voit comment les anciennes compositions prennent une ampleur nouvelle avec la technologie d’aujourd’hui et la maturation dont a bénéficié le groupe au fil des décennies. Il suffit d’écouter par exemple la version « ébauche » live de Hhaï dans le génial live culte de 75 et comment cette composition va par la suite se rattacher sous une forme encore plus développée à Ëmëhntëhtt-Ré en 2009 dans toute l’œuvre finale.


Cette première partie un brin pessimiste (2) pour d’un autre côté affirmer que Kãrtëhl est un bon disque, un putain de bon disque qui fait plaisir.


Car comme je l’ai dit plus tôt, si Vander et toute la team retravaille d’anciennes compositions (Hakëhn Deïs et Dëhndë existaient déjà sous formes de démos enregistrées en 1978 et livrées ici en bonus en fin de disque), il y en a aussi des nouvelles (le travail de composition en lui-même a commencé durant la pandémie) et elles sont de haut niveau. Outre la superbe Irena Balladina signée Vander (3), Do Rïn Ïlï Üss signée Hervé Aknin emporte d’emblée l’auditeur. Celui qui est maintenant un membre à part entière depuis plus d’une décennie et qui partage régulièrement le lead vocal avec Christian et Stella compose un titre exalté qui renvoie aux riches heures de Magma. Ce morceau serait issu des sessions de Attahk que je ne serais pas surpris. On le trouverait en bonus d’un Félicité Thösz plus récent que je ne m’en étonnerais même pas non plus.


La grosse surprise et l’un des meilleurs titres de l’album c’est ce Ẁalomëhnd⁄ëm Ẁarreï en piste 4 et signé Thierry Eliez (l’un des deux claviers du groupe) qui s’impose comme l’un des trucs les plus sombres vus depuis un moment chez Magma (4). Rythme échevelé, chœurs un peu spectraux, contretemps, oh oui c’est du pur Magma, reconnaissable entre mille et avec pourtant un renouvellement de l’écriture qui fait plaisir. S’il vous faut cet album c’est clairement pour ce titre (et Irena Balladina aussi tiens). Impossible de passer cette compo qui nous attrape d’un coup, nous écrase tel un rouleau compresseur et qui s’écoute avec un bon volume sonore.


Ẁiï Mëlëhn Tü qui le suit juste après (signé Simon Goubert, l’autre clavier du groupe) suit dans cette même voie, un morceau lancinant et étouffant, toutefois moins sombre, se ménageant une petite lueur d’espoir. Avec son prédécesseur, l’un des titres les plus longs (7mn30 pour walomed, presque 9mn pour ce wii melehn) et des plus composés. Franchement je pense même qu’il y a de quoi prolonger ce merveilleux travail de composition vers des mini symphonies à la Magma mais on verra ce que l’avenir nous réserve.


Ce qui me fait penser qu’au final cet album semble être une sorte de passage de relais entre les anciennes générations et les nouvelles, ces dernières ayant prouvées ici-même qu’elles avaient bien le niveau. La relève est assurée en quelque sorte même si je pense que Vander peut encore nous gratifier de quelques pépites dans les années à venir mais voilà, à l’instar d’un Tangerine Dream si l’on m’apprend que le groupe continue de naviguer de lui-même dans les décennies à venir, je ne serais pas surpris du tout : il a montré ici qu’il en était capable. Et que ça sera du tout bon.


Je veux terminer sur cette note d’espoir : j’ai pleinement confiance. Hamtaï !


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(1) Dans les notes du livret de la version cd du coffret Studio Zünd, Christian Vander racontait qu’en petit groupe resserré et dopé d’énergie, ils avaient limite démonté le studio lors de l’enregistrement.

(2) Eh oui il faudra bien faire acte de résilience de plus en plus avec le temps, nos héros ne sont hélas pas éternels.

(3) L’un des morceaux les plus beaux de Magma et aussi l’un de ses plus joyeux –toutes proportions gardées—avec un üdü wüdü voire Félicité Thösz que je continue de mettre à part : c’est un peu leur hymne à la joie FT et c’est pour ça que c’est tellement bien et que je l’adore.

(4) Il faut remonter au final de Ëmëhntëhtt-Ré et ses 2 derniers titres qui faisaient dresser les poils du bras quasiment.


Nio_Lynes
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le 29 oct. 2023

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