Pour moi, cet album c’est un voyage qu’on peut interpréter de plusieurs manières, et donc en quelque sorte, il peut être compris d’autant de façon qu’il existe de personnes pour l’écouter. C’est LE pilier du prog, loin d’être le premier (si tenté qu’on puisse trouver le premier album de prog), mais c’est celui qui définit le genre, avant oscillant plus entre le rock psyché et space rock, et au nom parfois de rock symphonique. Parce qu’on peut dire en effet que c’est bien la symphonie qui prédomine ce genre, bien que l’album commence avec 21st Century Schizoid man, un jazz violent que certains qualifient de proto-métal, quelques mois avant Black Sabbath. Mais la force de l’album, c’est bien qu’il contient cinq musiques, mais toutes dans un style très différent et forment la base de ce que seront les albums suivants de King Crimson. Car ce qui fait de King Crimson un groupe de génie (enfin un point parmi d’autres), c’est qu’à travers chaque album, pourtant unique et reconnaissable, c’est un peu la même formule appliquée à chaque fois, mais avec des thématiques différentes, des évolutions, tant musicales que la composition des membres du groupe, sur lequel règne le Roi Fripp. Mais à l’origine de ce royaume, il y avait une guerre pour savoir qui serait ce roi du groupe. Ian McDonald, un gars dont je suis extrêmement curieux de voir à quoi ressemblerai le groupe s’il était toujours resté, ainsi que Siegfield, qui s’occupait des paroles étaient dans cette concurrence.
Et cela abouti à un album qui malgré son incohérence de styles, cela ne viendrait à l’idée de personne de le clamer sérieusement, tant les genres sont reliés au travers un album pseudo-concept, où on peut y voir un thème qui revient sans que celui-ci ne soit clairement exprimé voire pensé. Dans cet album, il y a tous les genres (bon presque) que King Crimson reprendra par la suite, et dont les autres groupes de prog s’inspireront.
D’abord, on a donc ce mélange entre jazz et hard rock qu’est 21st Century Schizoïd Man, poursuivi par une musique très calme, contrastant avec le morceau antérieur, mais surtout avec l’album entier, toujours très sombre. Ensuite, Epitaph termine la face A, montrant l’aspect symphonique du groupe, grandiose et épique, mélangé à un pessimisme exacerbé sur un futur destructeur. Et la face B commence avec le non fameux MoonChild, qui commence par Dream, une chanson folk très douce, mais aux allures inquiétante voire dérangeantes comme avec son intro, Mais suivie de 10 longues minutes d’Illusion instrumental et minimalistes, où les musiciens improvisent, mais on dirait plus qu’ils tâtonnent sur leur instrument. Et si cela peut être qualifié d’emmerdant, ce que je concède, cette partie est extrêmement importante dans l’histoire du groupe, puisque King Crimson est notoire pour ses improvisations, et dont Illusion, cette musique inquiétante par l’incertitude qu’elle produit, donc correspond à ces improvisations sombres qui, comme les trois autres styles plus hauts, seront amenés à évoluer au fil des albums suivants.
Et enfin, je dirais le chef-d’œuvre progressif de King Crimson, personnellement ma musique préférée du groupe, In the Court of the Crimson King, une suite dans un style médiéval, évoquant des références mythologiques comme mystiques, en commençant par quatre couplets-refrains puissants coupés par un sublime solo de flûte, avec ce chœur culte semblant chanter un hymne à ce roi. Qui est-il donc ? Un ancien roi sanguinaire, le Diable ? Ou peut-être Zeus, si on prend les quatre premiers albums comme chacun traitant d’un élément, et celui-ci évoquant l’air, avec donc ce dieu grec, mais aussi par la musique I talk to the Wind, ainsi que l’aspect très aérien du Moonchild décrit. Ces thèmes élémentaires peuvent être reliés à un langage presque alchimique, dont le titre éponyme regorge. Et pour continuer dessus, cette musique est l’une des rares à selon moi utiliser des fausses fins. On sent que les jeux de la cour sont finis, tous ces personnages comme le joueur de flûte violet ou la sorcière de feu, pour que la flûte joue par-ci par-là, puis, c’est la grande fanfare épique, où tout le royaume défile jusqu’à la fin de la nuit en l’honneur du roi.
Une interprétation de l’album se fait par la distinction des deux faces, la A abritant le monde des hommes, ici cruel comme 21st, ou abrité de moments de paix comme la deuxième musique, mais voué à disparaître. Alors, en-dessous de ce monde, la face B, se cache le monde spirituel, où les fées païennes côtoient les dieux plus ou moins uniques, ou peut-être les démons si la cour du roi pourpre est une métaphore de l’enfer. Et c’est en cela qu’on peut presque parler d’album-concept, qui rend unies les cinq musiques présentes. On voyage du monde bruyant, cacophonique, vers un jardin très calme, où seul le vent peut être entendu, ce jardin, alors qu’on en voit le bout, la flûte continue et nous indique un lieu secret, dans lequel un lac au reflet étincelant, nous montre l’avenir de l’humanité, et sa destruction. Mais durant cette vision, la nuit tombe, et alors, perdu dans ce jardin, on rencontre l’Enfant de la Lune. Elle ne pense qu’à s’amuser, et ce, car c’est la seule chose qu’elle puisse faire, en attendant l’arrivée de l’Enfant du Soleil. Leur but est de relier le monde spirituel au monde matériel, afin de sauver ce dernier. On suit cette enfant Lune jouer avec des lutins à cache-cache, puis peu à peu le monde se brouille, le temps se dilate, et nous voilà transporté devant un château massif entre ciel et terre, au sommet duquel trône un géant entouré de voix chantant pour lui. Des courtisans s’amusent comme d’autres s’inquiètent, mais ils dansent, font des spectacles, organisent des duels et s’abreuvent d’ambroisie. Après la fête, quand tout se calme, les portes du château s’ouvrent, et laissent défiler un cortège en direction des grandes villes.


D’habitude, le premier album est celui où on se cherche, mais pas King Crimson, cet album, c’est presque un one-shot, que personne même eux n’arriveront à reproduire, et pourtant avec toutes les évolutions arrivées au fil du temps, on a cette impression qu’ils cherchent à reproduire la puissance de cet album.

Meh69
10
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le 13 janv. 2021

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