... des gouttes de pluie tombent témérairement et sans possibilité de s'arrêter vers leur mort, un suicide collectif façonnant la toundra détrempée, notre destination ; nous tombons vers l'inévitable avec elles, nous préparant à l'impact, mais au dernier moment, nous ralentissons alors que nous est révélé un couple de formes de plus en plus distinctes, se blotissant l'une dans l'autre sur le sol. La première d'entre elles, une femme, gît face au ciel et à la pluie implacable, alors que l'autre, sur ses genoux, se penche et la prend dans ses bras, secouant nerveusement la tête et pleurant, ses larmes discernables à travers les traînées laissées par les milliers de gouttes au bord de la mort.

Homme : Marjorie, Marjorie, oh bon sang Marjorie, pourquoi ? Pourquoi ne te réveilles-tu pas ? Ô, je t'en prie, je t'en prie Marjorie, pourquoi ?

Il lève la tête, toujours en murmurant, toujours en reniflant ses larmes, et jette son regard vers le ciel.

Homme : Pourquoi, espèce de salaud, prends-Tu toujours les meilleurs en premier ? Ce n'est pas juste, c'est tellement pas juste. Prends-moi, PRENDS-MOIIIIIII !!! Aaaah, Marjorie, s'il te plaît réveille-toi... Marjorie ? Marjorie ?!

Marjorie (ses yeux semblent habités d'une infime parcelle d'énergie suffisante pour les ouvrir brièvement et avoir le temps de dire) : Pierre... Pierre... ne te... blâme... pas... ne t'arrête pas... pour moi... ne pleure pas pour moi, je t'en prie... je t'aimerai toujours.

Sur ces mots, la lueur dans ces yeux s'échappe, et son regard se pose éternellement sur le ciel si sombre et impitoyable que les nuages tentent de s'en échapper par milliers de tentatives désespérées.

Pierre : Non, Marjorie, oh pitié non, non non non non non...

A nouveau, il lève sa tête vers le ciel.

Pierre : NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !

"Eeeet coupez, parfait elle est dans la poche, beau boulot les gars, on prépare la prochaine scène, ok ?"

Pierre : Hé, Dimitry, dis-moi, je peux te parler rapidement en privé ?

"Ouaip bien sûr, et ne t'emmerde pas à préfixer chaque ligne avec ton prénom, gardons le tout formel."

"Chouette, merci, ça devient très vite la pagaille."

"Alors, très bien, vraiment puissant, ça va parfaitement avec la bande son que j'ai trouvé."

"Merci, merci, ouais. Tu vois, Dimitry..."

"Tu peux m'appeler Dimmy."

"Dimmy, désolé. Tu vois, Dimmy, moi et quelques autres, on en discutait et on lisait quelques scènes du script, et, ouais, elles sont puissantes et tout, mais, je veux dire, hé bien, regarde la prochaine séquence, par exemple, c'est à nouveau une nuit pluvieuse et l'un des personnages est mort et l'autre essaye de le réveiller. Et la scène qu'on vient de faire, c'est seulement la première séquence du film, ça me semble un peu... expéditif, pour débuter un film."

"Ouais, où tu veux en venir ?"

"Hé bien, si chacune des séquences est une grosse séquence de mort, cela ne donne pas beaucoup de chance en tant qu'acteurs de s'identifier aux personnages, et pire encore, cela ne donne pas beaucoup de chances au public non plus. Je veux dire, ce film est juste une succession d'étrangers complets mourant, de manière apparemment tragique, et pleurés passionnément et sans retenue de larmes par d'autres inconnus."

"Toi et Marjorie n'êtes pas des étrangers, elle te dit qu'elle t'a toujours aimé, et t'aimera toujours."

"Nan... Ouais... Mais nan, pour le public on est des inconnus, tu vois ?"

"Pour être honnête Pierre, je vois pas trop où est le problème. Tu sais bien que le film est inspiré par la bande son, et que j'interprète ce que je vois dans ma tête quand j'écoute la musique."

"Et, euh... tu entends une succession de morts épiques ?"

"Hé bien, oui, pas toi ?"

"Ben, je vois où tu veux en venir, mais tu ne peux pas tenter de l'interpréter différemment de temps à autres ?"

"Franchement non, qu'est-ce qu'il y a d'autre à voir ?"

"Euh, là, sans prendre le temps de réfléchir, euh, y'a bien un moment dans le premier morceau qui sonnait un peu comme un soleil sortant doucement de derrière un nuage, et..."

"Oh ! Bien bien bien, quelle idée brillante mon gars, j'ai plus qu'à appeler le studio, leur dire qu'on change la direction du projet, qu'à la place des scènes de mort ce film sera fait majoritairement du soleil sortant de derrière différents nuages, je les vois bien digérer tout ça. Rien ne dit plus Succès Public que le soleil sortant de derrière les nuages !"

"Ce n'est pas ce que je voulais dire..."

"Tu ne connais vraiment rien à la réalisation d'un film Pierre, et c'est pourquoi je suis réalisateur et que tu es acteur. Tu dois donner au public ce qu'il désire, et il désire aller au cinéma pour se chier dessus de peur ou pleurer de manière stupide sur la mort de quelqu'un qu'il ne connaissait pas avant d'une maladie dont il n'avait jamais entendu parler. Plus encore, il veut voir l'amant qu'ils ont laissé derrière eux souffrir, alors tu peux te mettre toutes ces idées derrière la tête et passer à la caravane HMC, je crois bien que sur ce plan nous aurons Marjorie qui pleurera sur ton corps en lente décomposition, si ça ne te dérange pas !"
BiFiBi
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le 20 déc. 2011

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BiFiBi

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