Fell Voices — tout le génie de la scène « cascadienne », ici sauce californienne, comme leurs comparses d'Ash Borer.
C'est-à-dire, par rapport au reste de cette scène : pas de lyrisme, pas de douceur : seulement la noirceur brute de la nature sauvage, la roche noire des montagnes, le drap gris des sapins rangés sur les pentes abruptes, les eaux sombres des lacs lovés entre les rocs.
Ca et le ciel — seulement le ciel : un pays sans hommes, ou presque, sinon le bitume des routes qui sillonnent avec peine entre les pins immenses. Une nature muette : les langues des Européens venaient d'au-delà les océans : elles ne savaient pas la dire. Et la parole, dans le Nouveau Monde, ne s'est peut-être pas encore réellement accomplie — le peut-elle encore, maintenant ? Ainsi se distingue le Black Metal américain : libre des pesanteurs torturées de la Vieille Europe — incertain dans le silence sublime de la nature immense et insondable.
On sent déjà, sur ce premier album du groupe (sorti en 2009), cette régression vers l'abîme pleinement accomplie dans le dernier en date, celui de 2013, cette dissolution absolue de la structure dans le son et le rythme purs. Ici, l'oreille sera seulement heurtée par l'étrangeté des structures, par les abrupts renversements des percussions, ne suivant aucun plan d'ensemble connu d'une longue habitude, mais seulement une succession d'habitudes se déployant dans un devenir toujours incertain, dans l'âpreté pénétrante des guitares et de la basse, dans l'enveloppement lugubre d'un synthé lointain, dans la pauvreté brute et sauvage de la batterie, dans la difformité béante des voix épousant, comme la brume les montagnes, les courbes abruptes tracées par la distorsion rêche et abrasive.
C'est bien ce que semble faire la musique de Fell Voices : épouser l'abrupt des montagnes, se déployer au cœur de la nature silencieuse offerte dans sa pure violence primitive : dans la pureté de la vie et de la mort qu'elle dispense et recèle continûment en un cercle infini, dans la nudité d'aucune parole. Abîme vertigineux pour la solitude de l'homme, abîme grandiose dans sa radicale liberté, où l'âpreté de la roche et de l'épine fournissent seuls, sans l'aide d'un quelconque dieu du ciel, la page vierge où écrire le poème de la vie.
Fell Voices s'y essaie au plus proche de cette origine — en exaltant, en une pieuse révérence, la majestueuse noirceur des montagnes sauvages.