Dylan
5.6
Dylan

Album de Bob Dylan (1973)

Dylan, second éponyme de l’auteur après son album initial, est un disque atypique à plus d’un titre. D’abord parce qu’il est le premier à ne contenir strictement aucune composition signée Dylan (qui se contente d’« arranger » les traditionnels), ensuite parce qu’il n’a été en aucun cas composé par l’artiste lui-même. Le surnom de l’album est d’ailleurs la « revanche de Columbia » : la compagnie décide de sortir un disque composé des fonds de tiroir des sessions précédentes après le départ de Dylan chez Asylum Records. À l’exception de A Fool Such As I et Spanish is the Loving Tongue, provenant des séances de Self Portrait, toutes les chansons sont issues des sessions de New Morning. A l’image de Self Portrait, Dylan sera descendu en flèche par la presse, qui fustige en particulier sa production incompétente et son caractère insipide, mais se vendra honorablement aux États-Unis. Comme les inconditionnels de Dylan savent le faire, il convient d’aborder cette œuvre sous un angle nouveau, avec un regard lavé de tout préjugé.


L’album s’ouvre sur Lily of the West, un traditionnel venu originellement des îles britanniques, qui évoque différents lieux selon les versions. Dylan choisit ici Louisville, et confère à son interprétation un écho de l’Ouest américain, une tonalité qui rappelle celle de Take a Message to Mary, l’une des meilleures reprises de Self Portrait. Si Dylan n’est pas très impliqué dans son chant, les arrangements parviennent à conserver une certaine sobriété, ne tombent pas dans le mauvais goût des plus mauvais titres de Self Portrait. Appréciable même lorsqu’on l’écoute en dehors de l’album, Lily of the West s’avérera finalement l’une des réussites de ce disque. Sur Can’t Help Falling in Love, à travers la voix enrouée de Dylan, on croit retrouver un instant l'attachante sensibilité des chansons d'amour de New Morning, mais le manque d'application du chant et la mièvrerie des chœurs (qui restent cependant relativement sobres) n'aident en rien.


Sarah Jane, reprise d’un succès de « Uncle » Dave Macon, est l’une des chansons les plus sympathiques de l’album. Dylan semble bien s’amuser et sa nonchalance, sa dérision conviennent bien à la tonalité du texte. A nouveau, il habille son chant de la la la la la, procédé qu’il semble apprécier en ce début des années 1970 (The Man in Me, Wigwam). Sa durée courte et son rythme bien tenu empêchent l’auditeur de s’ennuyer, et Sarah Jane supporte finalement très bien les réécoutes en dehors de l’album (on se surprend même à la fredonner). Lui succède ce qui semble être la premier morceau à contenir un semblant d’ambition, ou en tout cas un peu de sérieux. Dans The Ballad of Ira Haynes, reprise de Peter La Farge qui côtoya le jeune artiste dans l’univers folk des années 60, Dylan applique un peu plus son chant, semble plus concerné par le texte, qui rend hommage à un Indien, héros de la Seconde Guerre Mondiale puis tombé dans la déchéance et l’alcoolisme à son retour aux États-Unis. Dylan adopte un style mi-parlé, mi-chanté, procédé qu’il exploitera avec bien plus de succès dans New Morning avec Three Angels ou If Dogs Run Free. La ballade qui la suit immédiatement, Mr. Bojangles, est aussi ma préférée de l’album (même si son principal mérite est surtout de me rappeler la superbe version de Nina Simone). Impliqué dans son chant, Dylan trouve le ton juste à plusieurs reprises, et fait honneur au texte de Jerry Jeff Walker, qui n’est d’ailleurs pas sans affinités avec son univers : la danse, celle de Mr. Bojangles comme celle de Mr. Tambourine Man, est vectrice d’inspiration et de création artistique.


Après ces deux réussites, l’album retombe malheureusement dans la médiocrité avec Mary Ann, dont la mélodie fait écho aux années folk de l’artiste (on pense à Farewell ou à Girl from the North Country). Mais Dylan a beaucoup de mal à s’approprier la chanson, et les chœurs alourdissent inutilement l’ensemble. Difficile aussi de trouver un quelconque intérêt à Big Yellow Taxi, qui ne diffère pas beaucoup de la version de Joni Mitchell, mais dont le chant désinvolte et nonchalant ne convient absolument pas au message écologiste du texte. A Fool Such As I, s'il possède globalement les mêmes défauts, se laisse un peu plus écouter, sans doute parce que la désinvolture du chant de Dylan convient bien au texte. Mieux vaut néanmoins écouter la version des Basement Tapes, non dénuée de dérision, mais où les musiciens du Band trouvent une harmonie qui porte le chant de Dylan, tout en légèreté. L’album se referme sur Spanish is the Loving Tongue, qui remporte le premier prix en termes d’arrangements : mandoline, chœurs mièvres, xylophone, mélodie sirupeuse… Rien n’est épargné, et l’auditeur non plus. Un changement incongru de tempo au milieu du morceau laisse perplexe. En réalité, ce morceau synthétise tous les écueils dans lesquels Dylan est tombé lors de sa période « crooner » : un chant sans application, une voix sans personnalité qui imite pâlement Elvis Presley, des arrangements sirupeux et mièvres. Dégoulinant ; tel est le mot qui vient à l’esprit lorsque l’on entend Spanish is the Loving Tongue, à l’image de la pochette de l’album, constituée de taches de peintures (supposées figurer un visage ?). Cette reprise est d’autant plus navrante que le Bootleg Series n°10 a montré à quel point Dylan pouvait sublimer la chanson.


Dylan est finalement un album où l’on peut dégager deux tendances : les reprises sirupeuses, où Dylan chante avec désinvolture et semble plus prendre du bon temps qu’autre chose, reflet fidèle des plus mauvais titres de Self Portrait ; les ballades où Dylan prend possession du texte, applique son chant, et parvient à trouver le ton juste (il n’y en a en réalité que deux : The Ballad of Ira Haynes et Mr. Bojangles). La seconde emporte largement la palme, même si ces morceaux sont loin d’atteindre l’intensité des grandes chansons à venir, ne serait-ce que celles de Planet Waves. En attendant, Dylan s’écoute à l’occasion, comme un supplément à Self Portrait, mais mieux vaut ne pas en abuser.

Faulkner
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le 30 nov. 2017

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