Quand la "misère" se transforme en beauté

Aujourd’hui, je m’attaque à un groupe de Rap français qui a longtemps fait débat dans notre hexagone, chez les connaisseurs comme chez les amateurs de Rap. J’ai moi-même eu des doutes lors de mes premières écoutes du groupe en 2015, parfois trop centré sur le côté « puriste » du Rap, avis critique qui évoluera très rapidement. Car dès le départ PNL, apportera certaines évolutions dans le milieu du Rap francophone. Un changement qui a été difficile à accepter pour nombreux passionnés du genre. Et qui je l’avoue m’avait aussi un peu refroidi. Je souhaite alors insister sur cette évolution qui sera au final tentaculaire et qui sera l’une de mes plus grosses remises en questions dans mes écoutes musicales.

PNL sort leur premier projet en 2015 avec « Que la Famille » qui sera la première pierre à l’édifice de leur discographie. De mon point de vu, c’est le projet le moins abouti même s’il est très important par l’apport artistique dans la carrière des artistes pour cette époque. Ils vont y placer les premières bases de leurs codes, permettant par la suite de se démarquer des autres artistes. On peut prendre l’exemple des productions et instrus très novatrices pour la scène française. En effet, PNL va démocratiser le « cloud-rap » encore très peu présent en France et très souvent concentré au milieu Underground. Aux Etats-Unis, le groupe cLOUDDEAD posera les premières bases de ce genre cloud, lui donnant alors ses premières notoriétés en 2001. Ce mouvement Cloud consiste en grande partie à créer une atmosphère planante, ralenti ou ambiante par un ralentissement du tempo de l’instru’ via les fameux Bpm (battements de cœur par minute). Ainsi, pour imager le BoomBap classique (rap Old School) à un Bpm se trouvant la plupart du temps entre 80 et 100 Bpm. Alors que le cloud aura la plupart du temps un Bpm inférieur à celui-ci. Les instrus sont alors plus lentes et l’atmosphère s’en retrouve changée tout comme la manière de poser ses couplets. PNL va démocratiser cette mouvance cloud du Rap à travers la France et en seront les principaux ambassadeurs.

Parallèlement ils poseront aussi les premières bases d’un décor et de codes qui seront propres au groupe. On peut donner l’exemple du fameux « Que la Famille » qui sera l’un de leurs messages ou slogans les plus connus et qui est donc le titre de ce premier projet.

Leur second projet « Le Monde Chico » continuera dans cette lancée, restant fidèle à ces codes en préservant un attachement à leurs origines. Cette volonté de symboliser ces origines sera très importante pour les deux frères. Ils resteront fidèles aux Tarterêts, cité de Corbeil Essonne dans le 91 en bordure de Paris où ils vivent. Ils seront fiers de représenter leurs proches, leurs galères et la vie des habitants de la cité. Une envie qui sera préservée jusqu’à l’album « Deux Frères », symbole de cet attachement des deux frères pour leurs proches et là d’où ils ont eu leurs premières inspirations. Avec ce second projet, ils réaliseront aussi leurs premiers succès et leurs premiers singles. Même si en 2015 le groupe divise énormément à causes de l’utilisation de l’auto-tune en complément de ces instrus cloud. Il va aussi connaitre ses premiers succès comme « Le Monde ou Rien ». Tarik (Ademo) et Nabil (N.O.S) expérimentent aussi peu à peu dans cet album, réalisant alors des morceaux bien plus personnel comme c’est le cas de « Tempête » ou encore « Porte De Mesrine ». C’est à ce moment, que le groupe à commencer à me toucher et provoquer une curiosité certaine. Cet apport personnel et mélancolique dans les paroles combinées à la mouvance cloud fera un « déclic » dans ma tête. Et mes idées perçus sur l’auto-tune et le manque de paroles pertinentes disparaitront pour de bon avec leur troisième projet « Dans la Légende ».

Le troisième projet du groupe marquera un tournant dans ma vision des deux frères qui était pourtant dure et presque catégorique sur les deux artistes. Lors de mes premières écoutes, j’avais énormément de mal à m’adapter à la fameuse présence « d’auto-tune » qui fera longtemps débat dans le Rap Game à partir de 2015. J’ai fait partis des auditeurs fans de Rap étant aveuglé par mes « habitudes » d’un boom-bap bien ficelé et technique à l’ancienne. Mais l’insistance de connaissances et de proches me pousseront à aller plus loin dans mes écoutes. « Le Monde Chico » apportera mes premières remises en questions notamment avec un morceau comme « Tempête ». « Dans la légende » le troisième album du groupe, me fera définitivement changé d’avis à la fois sur le groupe mais aussi sur l’auto-tune. Dans cet album, Nabil et Tarik peignent toujours leur art autour de leurs codes qui deviennent une marque de fabrique pour leur musique. Des codes autour de l’indépendance de leur art, de la famille (qlf) et de la débrouille faisant face aux épreuves de la vie qu’a pu connaitre les deux frères avant le succès dans le Rap. Lors de ce projet, ils se feront un plaisir d’y mélanger un égo-trip « fin » marquant leur réussite soudaine, faisant alors évoluer peu à peu de nombreux avis dont le miens. Des avis qui évolueront toujours d’avantage avec leur dernier album sorti en 2019. « Dans la Légende » prônera alors une réussite grandissante des deux frères en totale indépendance face aux nombreuses réticences et épreuves de la vie qu’ils ont pu connaitre. C’est alors progressivement que leur art devient d’avantage personnel par ce troisième album, des paroles ayants une résonnance croissante, sincère et décomplexée. Cette évolution permettra la création de master-class comme « Onizuka » où le message des artistes rencontre à la perfection la grande qualité d’une production minimaliste. Ou encore « DA » qui deviendra une véritable réussite commerciale et artistique par la puissance du message à caractère ego-trip. Un ego-trip s’inspirant de cette réussite soudaine après les nombreuses critiques et échecs reçus à leurs débuts. La situation s’inverse totalement, leurs galères et leurs points faibles deviennent véritables forces.

« Jusqu’au dernier Gramme » sera une certaine consécration pour cette réussite du groupe lors du troisième album quand on connait la qualité de ce titre. Il sera le point d’encre et le point final sur les doutes que je pouvais avoir sur le groupe, reconnaissant alors mon erreur certaine. Ce titre compilera parfaitement l’aspect personnel des paroles et des sentiments des deux frères à une production cloud incroyable et minimale. Je me souviens que j’avais encore très peu entendu d’instrus autant expérimental dans le mouvement Hip-Hop et du Rap. Une caractéristique expérimentale qu’on retrouve dans d’autres titres de l’album comme « Onizuka ». La beauté du titre « Jusqu’au dernier Gramme » est une véritable réussite et me fera écouter l’album à répétition. Notamment dans des moments qui ont étés difficiles dans ma vie dégageant alors une vraie force du projet. Mais c’est pourtant l’album « Deux frères » sortit en 2019 qui sera pour moi à ce jour, le meilleur album du groupe et de loin.

L’album « Deux Frères » sort alors en 2019 à la suite de leur troisième album « Dans la Légende de 2016. Le projet sera pour moi grand symbole de cette évolution du groupe mais aussi de ma vision de leur musique. L’album sera une véritable pépite pour les oreilles de ses auditeurs et pour les miennes. Le chemin a été long pour le groupe de Corbeil Essonne, longtemps critiqués ils ont su se faire une place cruciale au milieu du Rap français. Tout en restant fidèle à leurs idées et convictions d’indépendances tout comme leurs valeurs familiales déjà prônées au premiers albums. Ils ont connu une vraie élévation de leur talent que ça soit par les productions comme dans leurs lyrics. Décrivant au départ la misère et la galère de manière provocante symbolisant leur vie et leur quartier (2015). Pour déboucher sur un vécu beaucoup plus personnel par la suite face à ces mêmes épreuves et ce vécu (2019). Le groupe met enfin clairement des mots sur leurs démons et leurs plus grosses épreuves traversées. L’apport personnel progressif de chaque frère sera l’évolution la plus marquante à mes yeux et l’album « Deux Frères » en ai le symbole.

Ils vont par exemple rendre hommage à leurs proches à travers des titres touchants comme « Zoulou Tchaing ». Où l’hommage pour leur père est d’une puissance rare par les mots et l’amour sincère que portent les deux frères. Un père au vécu de bandit, difficile mais qui est une véritable image des Tarterêts dans la médiation associative et dans la volonté de sortir de la misère cette même cité laissée à l’abandon. Tarik et Nabil auront un respect indéniable pour cette force de leur père qui les a élevés et l’hommage qui en découle dans ce titre y est incroyable par sa force. Dans le titre « Deux frères » chacun des frères exprimera l’amour qu’il porte l’un à l’autre à travers leur couplet. Montrant cette solidarité familiale en grande partie fondée par l’éducation de leur père qui sera décisive pour les deux garçons de Corbeil et leur plus jeune frère. Cet album sera alors nettement plus personnel donnant une résonnance et une attache toute autre pour une grande partie du public.

De plus, les deux rappeurs seront d’avantage expressif de leurs sentiments les plus personnels. Que ça soit des sentiments mélancoliques comme pour les sentiments d’attachements à leur famille. Ces sentiments mélancoliques seront véritables piliers de cet album montrant la nonchalance des deux frères face au monde qui l’entoure, malgré cette apparition du succès certaine. Un morceau comme « À l’ammoniaque » symbolise parfaitement cette nonchalance mélancolique déjà expérimenté sur « Tempête » de leur second album ou encore présente dans « Jusqu’au dernier Gramme » du troisième projet. L’expérimentation ira alors toujours plus loin jusqu’à ce quatrième album qui sera donc le plus touchant du groupe à mes yeux. La mélancolie du storytelling des frères concordera pour moi à la perfection avec les productions. Des productions toujours plus osées et travaillées d’albums en albums montrant aussi une élévation technique et une aisance. Cette concordance de caractéristiques va faire de PNL un groupe unique dans l’hexagone. Une singularité poussée au plus loin par le morceau « Déconnecté » qui sera point d’orge de ces particularités novatrices du groupe que ça soit musicalement parlant, avec une intru totalement inédite par sa sonorité faisant alors sa force. Mais aussi par les paroles sombres qui vont encore compléter à merveille ces choix osés et qui définissent le mal-être qu’a pu susciter ce succès ainsi que les épreuves traversées pour atteindre cet objectif. On peut le voir quand Ademo dit « Et j’dis « peace, peace », mais avant j’disais plus « canon scié » sous le sun en L.V, toute ma haine est iradiée. Et la vie m’gêne Je reviens d’enfer je fais partie d’ces aborigènes ». Lyrics montrant à la perfection cette évolution de Tarik et Nabil. Évolution de leur vie, évolution de leur art mais aussi de leurs sentiments et du message exprimé. J’ai perçu ce morceau comme un vrai point de rupture dans cette recherche d’expérimentation, un peu comme ça a été le cas avec « jusqu’au dernier gramme ». Un point de rupture qui dans les deux cas seront une vraie réussite pour le groupe mais aussi pour l’évolution du Rap français laissant place à des artistes à part et loin des « normes » comme Laylow par exemple.

D’autres morceaux de l’albums auront des sonorités bien moins sombres faisant très souvent penser à des inspirations tropicales et chaudes. Comme c’est le cas du clip de « Blanka » tourné en Jamaique. On peut aussi prendre l’exemple de « 91’s » ou encore « Hasta La Vista » faisant tout de suite penser aux premières « notes », au premiers signes d’étés et à un rythme caribéens ou d’Amérique centrale. Marquant alors une véritable diversité dans les horizons musicaux de l’albums et donc dans l’inspiration qu’a pu avoir les deux rappeurs. Une diversité qui viendra compléter cette expérimentation certaine sur le morceau « La misère est si belle ». Mélangeant ainsi ces inspirations chaudes et dansantes à un message et des paroles engagés face au vécu difficile des deux rappeurs. Mais pas seulement, face au vécu difficile de toute une communauté des Tarterrets auquel PNL s’est toujours donné un mal fou à les représenter. À montrer leur vécu et à faire évoluer en bien cette même communauté très longtemps stigmatisée. Par leur art, les deux frères prolongent le travail de médiation qu’avait tenté leur père des années plus tôt quand ils étaient plus jeunes pour atteindre un véritable aboutissement, une notoriété et un respect d’une grande partie de la France tout en restant fidèle à leurs codes et valeurs.

PNL a alors eu un long parcours au sein de la scène Rap française. Un parcours fait d’abord de doute qui se transformera par la suite par un très grand aboutissement. Le clip de « Oh DD » du dernier album sur le toit de la tour Eiffel est synonyme de cette montée fulgurante qui n’était pas forcément gagnée d’avance. J’ai cité mon avis et mon expérience personnelle avec les projets de PNL afin de sensibiliser sur cette évolution cruciale. Cela me permet aussi de faire face aux nombreux préjugés qui ont longtemps impactés le groupe. Des préjugés qui m’avaient moi-même influencés en 2015, ayant une vision légère, critique et fausse sur le travail des deux artistes. Heureusement, au fil des projets j’ai su me démarquer des idées bien pensantes afin de savourer pleinement ce Rap en constante progression et toujours aussi innovant. Les avis de fans déjà convaincus ne feront que renforcer mes nombreuses écoutent et l’intérêt futur pour les albums « Jusqu’au dernier gramme » en 2016 et « Deux frères » en 2019. Des albums que je connais aujourd’hui sur le bout des doigts et dont je ne pouvais pas manquer la qualité.

Cette évolution positive de l’image de PNL ne concernera pas seulement les « puristes » et fan de Rap, comme ce fut le cas pour moi. Ceci concernera aussi un public bien plus large, gagnant ainsi des fans en nombre. Permettant même une certaine démocratisation du Rap après le boom que le mouvement a connu récemment. Aujourd’hui PNL est un groupe pilier du Rap français, ils ont atteint le million de vu sur « Au DD » et remplissent quatre bercys pour la tournée de leur dernier album. Montrant alors l’élévation de l’influence de ce groupe, de la qualité de leur travail et surtout de leur abnégation. Ils iront en prime toujours plus loin dans l’innovation qu’elle soit artistique et même marketing montrant alors l’impact de leur expérimentation. Un travail indépendant, précis et minimaliste qui se retrouvera jusqu’à la scénographie de leurs concerts comme c’était le cas avec la tournée « Dans la Légende » et le fameux « arbre » sur scène. Ou cette fois ci avec la tournée « Deux Frères », où la mise en scène était tout simplement majestueuse ayant deux énormes passerelles transparentes au-dessus de la fosse transcendées. J’ai eu la chance de faire un des Bercy de cette tournée et je peux vous dire que c’était un très grand concert. Du fait du travail remarquable du groupe comme je l’ai dit mais aussi par le message qui en dégage. Restant fidèle aux valeurs de bases des frères de Corbeilles. Valeurs reprisent par leur père dans un message de fin touchant montrant une sincérité prolongée au travers des étapes de leurs carrières. Père qui sera principal source de force et d’inspiration concluant à merveille ce message authentique.