Noir d****
6.8
Noir d****

Album de Youssoupha (2012)

Youssoupha est un rappeur parisien ayant passé une partie de son adolescence à Cergy après de nombreux déménagements suite à son arrivée de Kinshasa, au Congo. Sa mère est sénégalaise tandis que son père est issu du Zaïre. Région très tendue politiquement à la merci de différentes guerres civiles et à une profonde instabilité propre à la région. Région où Kinshasa est donc issue, en étant la capitale de la République Démocratique du Congo actuelle (RDC). Capitale où Youssoupha est donc né. À noter que de nombreux artistes issus du rap français ont eux aussi des origines de cette région et de ce pays. Comme Damso ou encore Kalash Criminel évoquant régulièrement leurs origines. Un pays et une histoire qui sera vraie source d’inspiration, pour dénoncer les nombreux conflits du centre de l’Afrique et donc de RDC. Malgré cette instabilité, la communauté congolaise est riche de culture. Et comme je l’ai dit précédemment, sera source de nombreux artistes. C’est le cas de Youssoupha, mais aussi de son père bien avant le succès du rappeur français. Tabu Ley Rochereau le père de Youssoupha, connaît un succès international par cette richesse culturelle de la région, en popularisant le Soukous et la Rumba à un public dépassant les frontières de l’Afrique.
Cette contextualisation est très importante pour comprendre l’œuvre de Youssoupha, ainsi que ses nombreuses inspirations artistiques et ses différents engagements. Il sortira son premier projet en studio en 2006 avec notamment un titre phare qu’est « Éternel Recommencement ». Le rappeur se distingue très rapidement par son écriture mais aussi par son engagement et son aisance à allier provocation et beauté d'écriture. Car oui Youssoupha a un vrai talent pour les lettres et la langue française. Ce talent il va le travailler et développer une vraie passion pour l’écriture (il obtiendra notamment la meilleure note de son académie à son Bac de français). Et ce talent il va le combiner à l'alliance d'une « plume » provocatrice basée sur une culture certaine. C'est ce facteur artistique qui va me passionner chez cet artiste. Il sortira ensuite deux albums. « À chaque frère » et « Sur les Chemins du Retour » qui sont pour moi deux classiques du Rap français de la décennie des années 2000. Par cette fameuse alliance évoquée plus tôt. Entre beauté d’écriture et provocation dénonciatrice. Mais ce qui est fou, c’est que cette provocation reste toujours subtile par la beauté de la « plume » de l'artiste. C’est pour moi l’album « Noir D**** » qui sera son œuvre la plus influente au sein de sa carrière et pour de nombreuses raisons.

« Noir D**** » sort en 2012, après une décennie précédente dominée par un Rap de plus en plus populaire mais aussi de plus en en plus matérialiste,. Appuyé par la chasse des majors aux meilleurs artistes. Mais parallèlement d’autres artistes plus indépendants vont aussi se développer. J’avais par exemple évoqué Hugo TSR durant une autre critique, mais c’est aussi le cas d'Orelsan ou encore de l’arrivée de 1995 au début de la décennie 2010. Orelsan fait partie de ces artistes qui allaient vers un « renouveau » de la provocation. Avec ses albums « Perdu d’Avance » et le « Chant des Sirènes », il va innover et pousser cette provocation typique au Rap, à des thèmes ou des références totalement nouveaux. 1995 vont eux se démarquer par la façon d’écrire leurs textes et leurs inspirations de la scène East Coast des années 90, d’où leur nom 1995.

C’est dans ce contexte que l’album auquel on s’intéresse va émerger. Et que Youssoupha va donc allier à la perfection ses messages très forts à la beauté de ses textes. Chose qu’il faisait déjà auparavant dans ses projets précédents, mais qu’il va compléter à un aspect beaucoup plus personnel. Allant jusqu’à l’autodérision subtile face à ses propres souffrances et défauts. Portant ce message aux yeux de tous. Car cet album en plus de son côté provocateur face aux maux de la « société », allie à la perfection la beauté de l’écriture de l’artiste et la technique d’écriture. Ainsi que sa propre remise en question et la réflexion qui en découle.
Ainsi, l’artiste va porter ce discours tout au long de l’album. En variant bien sûr les sujets, mais aussi les inspirations musicales. Des inspirations parfois très complémentaires, comme on peut le voir avec la collaboration avec son père sur le titre « Les disques de mon Père ». Où la musique « traditionnelle » reconnue mondialement de son père qu’il avait peu connu familialement, rejoint à la perfection le Rap de Youssoupha. Parfois des inspirations, beaucoup plus contemporaines ont une réussite moindre comme c’est le cas sur le titre « La vie est Belle » qui a pourtant longtemps été mon morceau préféré de l’album par ses paroles. En effet, la production de ce titre est à mes yeux trop dense, mais les paroles et punch’s du lyriciste, sont totalement folles par leurs engagements et leurs réflexions. La façon de dépeindre une réalité très souvent cachée ou sous l’influence d’une certaine hypocrisie est nouvelle et totalement décomplexée. Le titre ira alors dans une noirceur progressive, créant un véritable suspense froid à l’écoute du morceau. On a l’impression que Youssoupha va toujours de plus en plus loin dans son discours, toujours avec une écriture aussi précise. L’instru alors parfois brouillon inspiré de la Dub Step vient entacher un peu à mes yeux la force de ces paroles. Même si elle participe beaucoup à ce « suspense ». Et là est la force de l’album pour moi, c’est que même en étant difficile sur deux trois instrus de certains titres, le talent de Youss’ va pour moi faire de cet album un classique du Rap français. Un des albums qui vont justement me faire aimer le Rap par les idées qui peuvent y êtres véhiculées.
Et c’est maintenant sur ces paroles, sur ce talent d'écriture que je vais m’appuyer pour montrer justement la force de ce discours, la force de ce projet. Comme on le sait le Rap a toujours été un art où la provocation et l’engagement ont une grande place. Et ici, le projet regorge de cet engagement, un engagement multiple et qui je trouve, ira plus loin que certains artistes. Nombreux sont les artistes à évoquer les inégalités, les problèmes d’équité, le racisme ou encore des faits historiques où la Mémoire n’est pas toujours juste ou parfois subjective. Pour moi Youss va s’en inspirer et le moderniser. Ses albums précédents étaient beaucoup basés sur ce boob-bap « engagé » plutôt classique. Mais dans cette œuvre il va le dépasser. Cet engagement atteint tout le monde dans la « société », dans notre « monde » un peu comme a fait un an auparavant Orelsan avec "Le chant des Sirènes" et "Suicide Social". Les lyrics de Youssoupha montrent à la perfection cette incompréhension de l’artiste face au monde qui l’entoure. Allant douter de tout, jusqu’à ses propres relations dans « Tout l’amour du monde ». Jusqu’aux propres codes de ses paires mais aussi et surtout de lui-même. Son scepticisme et la noirceur de ses doutes est alors universelle et beaucoup d'auditeurs peuvent y ressentir des émotions nombreuses à travers ces paroles. Des titres comme « Irréversible » ou « L’enfer c’est les autres » vont au summum des arguments évoqués auparavant. Les punchlines du rappeur sont très fortes par la froideur, mais aussi par le fait qu’elles soient encrées dans la réalité, une réalité parfois minimisé. L’artiste va par exemple questionner l’Etat français sur son inactivité dans l’une de ses rimes face au drame de l’incendie du Boulevard Vincent-Auriol. Des mots dures et justes qui permet un véritable questionnement sur ce drame. Dans « l’Enfer c’est les autres », le scepticisme est à son paroxysme, il met en doute ses propres actions, tout en gardant ce discours face au monde qui l’entoure. On peut alors penser, que si même lui, il arrive à douter de ses actes. Est ce qu’il vaudrait mieux que tous ceux qu’il dénonce à travers l’album ? Est-ce que lui aussi il participe à cette hypocrisie du monde qui nous entoure ? D’où je suppose le titre « l’Enfer c’est les autres ». C’est ici qu’on peut voir la complexité du discours de Youss’, un discours complexe aux nombreuses références qui sont alors parfaitement associées à l’art d’écrire de l'artiste déjà présent dans ses projets précédents. Une réflexion qui débouchera sur des albums futurs d'avantages positifs suite à ces pensées.

On peut alors se dire qu’avec ce titre, le lyriciste nous amène à avoir une propre réflexion. Sans réponse forcément direct, nous forçant ainsi à réfléchir au message de l’artiste et surtout à l’interprétation d’une certaine morale de ce message. Il ira jusqu’à mettre des noms sur ses dénonciations reprenant de célèbres controverses. Notamment la plainte d'Eric Zemmour pour « Menace de mort » comme l’annonce le quatrième titre de l’album. Un procès que l’artiste gagnera face au polémiste car oui il s’agissait bien de liberté d’expression et non d’une menace de mort comme la polémique a pu être relayée. Ou encore une référence à un ancien président français, qu’il citera en « ver-lan » pour limiter l’impact de cette provocation et donc de protéger cette même liberté d'expression.

« Noir D’**** » va marquer un véritable virage à mes yeux dans le Rap « engagé ». Il va être pour moi une véritable référence en la matière. Un Rap engagé qui peut parfois être ennuyeux chez certains rappeurs mais que Youssoupha a totalement su moderniser à son année de sortie de 2012. L’authenticité des rimes et du discours de l’artiste est fou, malgré un désordre parfois présent dans certaines productions ou certaines mélodies. Un désordre qui permet un album varié avec toujours une prise de conscience propre à cet artiste, à ce qu’il a vécu, propre à ses idées. Une prise de parole authentique et folle par sa technique, par l’aisance d’écriture de Youssoupha. Une aisance qui touchera son apogée dans le dernier titre « Espérance de vie » où le nombre de mesure est égal à l’âge moyen de l’Esperance de vie en France. Une alliance de technique et d’un discours engagé toujours d’actualité aujourd’hui. Où justement ces dénonciations et provocations évoquées en 2012, sont aujourd’hui de véritables chocs médiatiques. On peut le voir dans le titre Irréversible « Dans un pays où les plus honorable soutiennent la morale de Roman Polanski ». Faisant alors référence aux nombreuses accusations de viols contre le cinéaste. Des accusations beaucoup moins médiatisées en 2012, qui sont aujourd’hui un véritable un sujet de société en France et dans l’univers culturel. Les problématiques évoquées par l’artiste en 2012 sont aujourd’hui au centre d’un débat, d’où l’importance de ce discours indépendant et d’actualité de ce grand artiste.

Asmara24
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le 25 mai 2023

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