Cruel Optimism fut ma première rencontre avec Lawrence English. Un premier contact pour le moins déstabilisant qui déboucha sur un malentendu. J'avais lu sur le bandcamp de l'artiste un beau texte passionné rapportant les raisons d'être de l'album, sa démarche etc etc, et au delà des bribes de conceptualisation ce qui me parlait avant tout c'était la liste de guests annoncés pour accompagner cet homme qui préfère d'ordinaire travailler seul. Parmi eux Tony Buck et Chris Abraham des Necks (contact facile, malgré son nom Mr English est Australien), Mats Gustafsson, Mary Rapp, Thor Harris, j'en passe. Casting de luxe, et je n'avais qu'une hâte : aller traquer les interventions de chacun de ces musiciens de mon cœur sur un album que j'attendais détaillé et un minimum léché (on parle d'ambient tout de même, le travail de production se devait d'être au poil).


Sauf que voilà : Lawrence ne fait pas de l'ambient comme tout le monde. Son dada à lui (sur Cruel Optimism tout du moins), c'est le lo-fi. Tant et si bien que tout ce que j'ai retiré de ma première écoute c'était une grosse pâte sonore indéchiffrable saturant mes tympans en les vrillant au passage. Et la frustration de grandir tandis que la pénible évidence s'impose : impossible de distinguer quoi que ce soit dans ce foutu brouillard mastoc. C'est à peine si l'on perçoit l'enchainement entre les pistes. Scandale ! C'est trop facile de mal mixer son bouzin pour se donner l'air mystérieux, en se contentant d'augmenter ou baisser le volume pour faire comme si c'était des morceaux.


Une séance de yoga plus tard, je tente une deuxième écoute plus apaisée. Et soudain, fiat lux ! Soudain, la qualité crade d'enregistrement, le lo-fi des plus brut, tout fait sens. Cette mixture sonore impénétrable que je décriais auparavant m'apparait comme la plus grande qualité de Cruel Optimism. Une fois l'album pris pour ce qu'il est – et non pour ce que j'espérais qu'il soit – sa beauté rugueuse brille d'un éclat sombre. Cruel Optimism est un « protest-album », un disque politisé (jamais explicitement, on reste dans des instrumentaux abstraits) en réaction à une année 2016 bien merdique et qui s'oppose à la menace que représentent beaucoup de futurs possible. L'important dans l'histoire c'est que le disque est puissant, massif, sombre, grave, et tout plein d'autres descriptifs trouvés dans le dictionnaire des synonymes. Que la volonté implicite de Lawrence English lorsqu'il rassemble ces musiciens et qu'il les fusionne en une seule nappe sonore gigantesque, c'est d'opposer un front uni face à l'ennemi. Et en ce sens son travail est une réussite. On ne cesse d'être balloté au gré des vagues, le sentiment est grisant. D'ailleurs à propos de sentiment, il me paraît nécessaire d'ajouter que les nappes créées par Lawrence m'apparaissent comme hautement émotives, sans que je puisse vraiment expliquer pourquoi – sa musique est trop abstraite, c'est comme ça et puis c'est tout. Malgré quelques moments moins enthousiasmants tant texturellement que structurellement parlant dans la tracklist (notamment sur l'intro du disque), les 4 morceaux qui concluent l'album sont particulièrement terrassants.


Voilà donc ma veste dûment retournée. Cerise sur le gâteau ; maintenant j'arrive à distinguer (deviner plutôt) quelques apparitions de mes guests tant attendus. Des drones de saxo de Gustafsson ici et là en début de morceaux, des nappes de cymbales de Buck ici et là, le piano d'Abraham qui tonne sur la violente (et bien-nommée) « Hammering A Screw » et fait pleuvoir des notes au long de « Exquisite Human Microphone ». Bref, sans rancune Lawrence, ton argumentaire est bien plus solide que ma mauvaise foi.

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le 24 févr. 2017

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T. Wazoo

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