Big Generator
5.5
Big Generator

Album de Yes (1987)

Aussi loin que je me rappelle, en 1987, je traînais dans un Nuggets, magasin aujourd'hui englouti, lorsque je tombai sur le nouveau 33 tours de Yes, étonné, 4 ans après leur fameux 45 tours "Owner of a lonely heart", curieux, et un peu décontenancé par cette pochette plutôt moche à mon gout. J'avais demandé au disquaire à l'écouter au casque, car avant on pouvait tout écouter, pas comme les misérables 30 secondes qu'on t'accorde avec un son compressé et souvent avec un seul écouteur fonctionnel : on appelle ça l'évolution vois-tu... Je crois qu'à l'époque, j'avais trouvé ça un peu bordélique, j'avais alors 15 ans et j'avais reposé l'album. Et j'en étais resté là.


Fin 1989, le batteur de notre groupe prog était plus âgé, avait une voiture, une 104 remarquablement orange, et nous mettait constamment des groupes un peu hard fm comme Saga, IQ, Asia, Eloy, et cet album de Yes dans son autoradio : je souffrais tu n'imagines pas comment...Il nous avait mis aussi cet album de ABWH, assez chouette, et par moment désopilant avec les synthés horripilants de Wakeman. Mais concernant Big Generator, je le trouvais toujours mal foutu.


Après être devenu accro à "Fragile" en 1991, et "Union", j'étais naturellement revenu aux albums "90125" et "Big generator". Alors que "90125" faisait l'unanimité dans mon cerveau, je bloquais encore sur certains titres de "Big Generator".
Alors, qu'est-ce qui rend cet album pas totalement satisfaisant ?
Et bien tentons d'y répondre.


Première chose positive : ils ont continué à fournir des parties vocales riches, foisonnantes, ce qui peut-être est la plus grande qualité de cet album.



Ici, il n'est pas du tout une question de manque d'inspiration, mais plutôt de direction.



C'était un peu comme si les 4 roues d'une même voiture allaient dans des directions différentes : tu peux aisément t'imaginer, ça ne mène pas bien loin... Trevor Rabin raconta alors que même Tony Kaye, le clavier, était plus impliqué. Mais après 3 lieux d'enregistrement, arriver à accoucher d'un successeur à 90125 s'avéra un calvaire.


M'est avis que le nouveau et jeune guitariste commençait à énerver sérieusement les anciens en prenant tout en main - mince c'était leur groupe ! -oui mais non : le nouveau patron c'était lui, monsieur "Owner of a lonely heart", et le Label ne s'est pas privé pour exiger un nouveau "Owner". Donc Rabin avait la pression, et que veux-tu, ce n'est pas facile de se traîner aussi des quadragénaires avec un passé historique plombant. et de jouer au chef.
Il rappelle par exemple que la période Italienne était celle de "beaucoup de fêtes et peu travail", "a real drug time", en décrivant ses petits copains. A mon avis, il a dû oublié de mentionner "et de putes", mais quoi qu'il en soit, Horn arrêta les frais et rapatria les délinquants à Londres, car je te le rappelle, ils devaient encore fabriquer un nouveau "Owner of a lonely heart". Le problème est qu'ils n'avaient absolument aucune idée pourquoi ce hit avait été un succès et ce que les gens avaient aimé - mon avis personnel et secret est que le clip avait joué un énorme rôle dans ce succès.


Après des mois infructueux à Londres, Rabin décida encore de tout rapatrier à Los Angeles, en créant son nouveau studio, moment qu'il qualifia de période "la plus heureuse de toute cette expérience"...c'est dire à quel point cela a du être une partie de plaisir de réaliser cet album.
C'est ce qui fit dire à Squire :



on a passé plus de temps à se demander quel équipement utiliser plutôt qu'à effectivement jouer dessus"



C'est dur t'avoueras.


Des guerres en factions, Horn qui ne s'entend pas avec Anderson et Kaye, et se barre, Anderson qui n'aime pas qu'on lui dise à quoi doit ressembler un album de Yes, Squire qui trouve que le petit il commence à faire ch.....,
et Rabin qui se dit "je vais les finir" (les chansons, pas les mecs)...


On est loin d'avoir des conditions optimales, là, non ?


Le plus grand défaut de cet album, 30 ans après, s'avère être la guitare, finalement, surtout lorsque Rabin utilise cette distortion très banale au son "américain". On aurait peut-être dû l'inciter à prendre quelques notes concernant la diversité et la richesse de son prédécesseur, Steve Howe (écoute le passage hard inutile de "Big generator") Mais les jeunes ne veulent jamais apprendre. C'est dommage car ses sons de guitare hard sont kitsch aujourd'hui. Et oui ! Par contre, avec ses sons clairs, il devient intéressant.
Malgré tout Rabin écrit de bonnes chansons et est un bon producteur. C'est un bosseur et il met toutes ses forces et sa ténacité à réaliser cet album, sauf que, tout est biaisé tu le sais :
il l'a un peu oublié, or il est en plein milieu d'un album de Yes. Le piège vient de là. C'est le combat des chefs : en face, les deux fondateurs du groupe, Anderson et Squire, rien que ça, et il a comme alliés, un ancien clavier viré (Kaye) et un batteur...


Et contrairement aux idées reçues, vois-tu, je vais t'apprendre un truc (je trouve toutes ces infos sur Wikipédia en Anglais pour ta gouverne), Rabin est loin d'avoir le contrôle sur tout. Par exemple, il déclara que "Almost like love" ne fonctionnait finalement pas et qu'il aurait aimé qu'elle ne figura pas sur l'album. Il n'était pas d'accord aussi avec le fait qu'on y ajouta des cuivres. Et je suis bien d'accord avec lui. Qu'ils mettent des cuivres super puissants, bien en avant, façon Motown, ok, mais qu'ils s'amusent à les faire sonner comme des synthés DX7, c'est le comble non ?
Alors c'était lui l'patron ou c'était pas lui l'patron ?!


Il est révélé qu'à la base, le groupe pris exemple sur l'album des Beatles "Abbey road", comme modèle. Rabin raconte que "si tu venais avec une idée, tu ne devais absolument pas te mettre la pression pour en faire une chanson (peut-être auraient-ils du...), et si tu n'avais pas de refrain il ne fallait ni jeter ton idée, ni y mettre absolument un mauvais refrain (pas con ça par contre)".


C'est ce qui explique la longueurs des titres de cet album (7 minutes en moyenne), et à ce propos on pourrait presque dire que certains titres sont prog (ou qu'ils sont perdus, à toi de voir). Moi je penche pour le naufrage...et de grosses divergences.


Chaque membre y alla de sa mélodie, Kaye, White, Squire, Anderson et Rabin. Il y a même des titres qui sont signés par les 5 membres, c'est un effort collectif en d'autres termes.
"Big generator", "I'm running" et "Shoot high aim low" sur une idée de White jouant les accords accompagné par sa drum box, et Rabin qui se met à chanter dessus en arrivant au studio - on tient là le début d'un scénario pour Hollywood, non ? Mince, j'ai envie de chialer là.


Donc tu vois, le bilan n'est pas aussi mauvais que ça.
Sauf que certains titres souffrent de cohésion.
On a souvent des moments absolument magiques balancé par des moments moyens ou limites :


"Rhythm of love" : ouverture lumineuse, suivi d'un riff guitare con-con, suivi par un refrain extraordinaire "morning, daydream..", pour retomber dans un "to the rhythm of love" choral à se flageller mortellement, pourquoi tant de haine, suivi d'un break intéressant mais court, et le solo : donne-moi une carabine putain !


"Big generator" : ouverture lumineuse divine presque ancestrale , à se faire parmi, suivi d'un atroce riff guitar heavy rock inutile (lire critique), suivi d'un émouvant couplet, suivi d'un refrain tellement con, ah oui c'est le riff atroce... maintenant j'y suis, ils ont essayé de "reproduire" les effets de "Owner of a lonely heart", c'est pathétique, la fin part vraiment dans tous les sens... sûrement le plus mauvais titre de l'album. Moi je ne garderais que l'intro et le couplet, et j'en ferais autre chose.


"Shoot high aim low" : forcément, après le calvaire de "Big generator", "Shoot" apparaît comme du miel à côté. C'est un bon titre, pas vraiment fait pour la scène, mais prenant, un poil long mais réussi.


"Almost like love" : introduction cauchemardesque (riff heavy dégueulasse, synthés DX7 comment c'est des vrais cuivres ?), couplet dynamique et punchy avec un refrain acceptable, magnifique break de Jon malheureusement trop court, puis solo... passe moi le tazer, enfin Anderson qui reprend la main avec sa mélodie tirée de la rencontre du troisième type, mais sombre avec ce thème aux synthé DX7 (quoi t'es sûr que c'est des vrais cuivres ?)


"Love will find a way" : magnifique introduction de cordes, chanson de Rabin, parfaite de bout en bout, avec un pont émouvant "Here is my heart waiting for you !", même si le texte est un peu cul-cul, mais les Beatles, hein, rappelle-toi....et un bon refrain. Un vrai tube


"Final eyes" : il aura fallu attendre la sixième piste, or voici un vrai titre de Yes. Magnifique, émouvant, renversant, j'ai passé des jours des semaines avec ce titre, j'ai traversé des océans, j'ai gravi des montagnes, j'ai sauté à la marelle, j'ai monté des chateaux en Espagne, j'ai cru en dieu, j'ai voulu avoir des enfants, j'ai commencé à croire, j'ai beaucoup pleuré. C'est un titre essentiel, un miracle, a miracle of life. "Save me i'm holy, i'm so in love with you !" Passe-moi le sopalin.


"I'm running" : douche froide Spanish en intro, on revient à un couplet touchant. On ne sait pas à quelle sauce cela va être servi, on a peur, mais non, ça prend "Yes I'm running !" (ils aiment bien s'auto-citer dans les chansons, comme les rappeurs), puis retour à ce plan foireux mais qui, je te le garantis, reste en tête. Titre à tiroirs, étonnant finalement qu'il m'aura fallu 30 ans pour apprécier, avec des parties vocales particulièrement réussies dans le final, et la petite référence "Heart of the sunrise" dans les petits break à la fin. Joli clins d’œil.


"Holy lamb" : du Jon Anderson pur jus, comme j'aime, et donc du Yes, spirituel, planant, vocal, et inspirant.


Finalement, je m'aperçois qu'il n'y a que le titre "Big generator" qui est très mauvais, et qu'il y a des fautes de gout dans "Almost like love" et "Rhythm of love". 3 titres contre 5 cependant... Et c'est un album plus "progressif" que "90125", mais plus brouillon aussi. Encore une fois, c'est un album faussement hard fm, trop complexe en vérité. Yes est tiraillé entre sa propre tradition et les exigences brutales du moments. C'est ça au fond qui donne ce sentiment d'incohérence. Le groupe est aussi tiraillé de l'intérieur, et cela s'entend : il n'y a tout de même pas de son global, cette unicité, cette direction qui avait tant réussi dans "90125". Il aura été fatalement impossible de courir après l'énorme succès du précédent opus.
La faute à la maison de disque donc ? Oui, il y aurait tellement à dire sur ces gestionnaires piteux, mais c'est un autre sujet...



Je dois confesser qu'en écrivant cette critique, j'ai découvert la version remaster de "Big generator" beaucoup plus satisfaisante.



Tu peux trouver ce remaster aisément dans le coffret 69-87, ils l'ont inclus alors qu'on ne peut le trouver en individuel. Va comprendre pourquoi...
Maintenant je comprends pourquoi les américains d'un site spécialisé sur Yes ne me répondent pas Ils doivent se dire "il est vraiment trop con le frenchy ça fait 10 ans que l'album est remasterisé..."


Titres : "Final eyes" !!!, "Holy lamb", "Love will find a way", et bizarrement aujourd'hui : "I'm running", et la version remastérisée de "Shoot high, aim low"

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le 30 avr. 2018

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