Né de la tragique disparition du bassiste et ami de toujours Cliff Burton, ...and justice for all est bien plus qu'une énième production du géant Metallica.

Œuvre testamentaire a bien des égards, il offre un cruel aperçu de la souffrance des trois rescapés, perdus, désespérés, déchirés.
James Hetfield, bien sûr, dont la voix brisée et rageuse semble adresser chaque mot à son regretté camarade. À des lieux du fol adolescent de la décennie passée, il hurle un désespoir mêlé de rage, d'une sincérité à couper le souffle, bouleversant.
Ulrich et Hammet, transfigurés eux-aussi, imprègnent l'album d'une noire violence empreinte de tristesse, seul exutoire possible à la confusion de leurs esprits. Le riff le plus brutal cède sans coup férir place à l'arpège salvateur, la subtile mélodie acoustique se voit sauvagement piétinée par une batterie déchaînée, tout n'est que contraste et subtilité à l'image de l'inextricable maelström sentimental qui donna hélas naissance à ce chef-d'œuvre. Il n'est alors plus besoin de paroles tant celles-ci sont fondamentalement limitées, inaptes à transcrire l'infinie souffrance de ceux qui restent, apogée artistique et créatrice, To live is to die achève d'affirmer l'immense talent de ces artistes hors normes, offrant à Cliff Burton un épitaphe inoubliable.

Mais cet album est aussi l'adieu au Thrash de ceux qui lui donnèrent naissance.
Incapables de se remettre réellement de la tragédie qui les frappa, ayant épuisé leurs dernières ressources ici, il était inconcevable que les trois survivants reviennent un jour à cette musique qui ne saurait que trop leur rappeler le fantôme de Burton.
Il est donc la synthèse de tout ce qui fit Metallica, ce sens inné de la mélodie, cette folie sans cesse refoulée, repoussée qui éclate sauvagement lorsqu'on l'attend le moins, cette absolue complicité qu'ils ne retrouveraient jamais, cette liberté formelle de l'artiste qui ne compose que pour lui.
Metallica, au faîte de sa carrière et pourtant au bord du gouffre, laisse au Thrash son ultime morceau de bravoure, déjà si loin des origines de sa création.

Metallica dit adieu à son ami en lui faisant le plus beau des présents. AJFA est une pierre angulaire du Thrash, musique si chère au bassiste, qu'il avait contribué à mettre au monde dix ans auparavant.
Il n'est pas l'album le plus abouti du genre, certainement pas le plus violent, assurément pas le plus rapide ou le plus technique, encore moins le mieux vendu. Mais il est le plus Vrai, une œuvre atypique, intemporelle et incomparable.
-IgoR-
9
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le 17 nov. 2014

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-IgoR-

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