Alors que le cinéma et la musique sont deux arts bien distincts, la connexion entre les deux s’avère parfois sibylline et immédiate. Ce fait est du soit à la cohabitation de l’un avec l’autre comme dans certaines œuvres, à l’image de la bande son de Shoji Yamashiro qui accentue la l’urbanisation technologique d’une cité cyberpunk et la magie mécanique du film d’animation Akira, soit par la proximité presque sensitive et immatérielle qui existe entre certains artistes.


Dans cette deuxième catégorie, la dualité qui nous intéressera est le rapprochement palpable entre les premières œuvres du cinéma cyberpunk de Shin'ya Tsukamoto et celles du groupe screamo Envy. Au-delà même de la nationalité, qui est la même (Japon), il y a chez ces deux entités la volonté farouche de se jouer des codes de leurs procédés, de s’affranchir de toute barrière, de pilonner leurs auditoires sans se donner de limites artistiques tout en décrivant un Japon morne et à la dérive qui démystifie une société aliénée par ses mœurs.


A l’écoute de « All the footprints… », cette haine punk et rageuse, cet abandon culturel dans une violence sèche et sans compromis, cette voix éraillée à en perdre la vie, il est presque impossible ne pas penser à Tetsuo, Bullet Ballet ou Tokyo Fist du réalisateur japonais. L’un pourrait être la bande son parfaite à l’autre, et l’autre pourrait idéalement mettre en image la déshumanisation sensorielle de l’un. Ça serait comme une sorte de rêve ultime, voir Envy et Tsukamoto fusionner pour ne faire qu’un. De la musique d’Envy, découle cette couleur noire, qui provient des ténèbres, avec cette petite voix qui chuchote avant l’arrivée de l’orage, là où les guitares font profil bas avant elles aussi de marteler l’apocalypse.


Certaines choses ne s’expliquent pas, elle se ressentent : la courte odyssée punk et viscérale qu’est « Left Hand » est comme la métamorphose mécanique de Tetsuo ou le cataclysme tout en pesanteur « your shoes and the world to come » contient des reflets de la violence volcanique et contemplative de « Bullet Ballet ». Sur la table de violence, Envy est un pionner du screamo punk : là où l’éruption ne semble qu’être un défouloir chez certains, les japonais épousent leurs instruments avec leurs chairs, leurs mélodies avec leurs sentiments (« farewell to words »). Il y a un sentiment d’abandon, comme si la prise de micro était vitale.


Dans ces petites salles en fusion, de ce montage énergique le groupe crie ses désillusions, se fait l’écho d’une infortune qui noie dans le chagrin et dans la détérioration d’un tout. Tout comme certaines œuvres de Tsukamoto, « All the footprints… », ne contient aucun bout de gras : l’album n’est qu’un condensé pessimiste d’accélération punk nihiliste, quelque fois contrebalancé par des divagations post qui permettent quelques aérations, des courts instants de respirations pour mieux digérer l’animal imprévisible et destructeur qu’est Envy.


Au-delà même de son style, de sa qualité d’exécution, sa rythmique aussi mélodique que frénétique, c’est aussi la voix chanteur, Tetsuo, qui fait le sel d’Envy : une telle sensation de perdition est inégalable. A l’écoute de l’album et au regard de la pochette, d’innombrables images de celles de Tsukamoto viennent à l’esprit, des plans qui se télescopent telles des connexions synaptiques, des lieux morbides d’une symphonie métallique, une humanité presque devenue déviante et irréductiblement attirée par la nuit. Un coup de feu mortel.

Velvetman
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le 18 août 2018

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