A Sea of Faces
7.9
A Sea of Faces

Album de Archie Shepp (1975)

Black Saint est un label indépendant Italien créé en 1975 par Giacomo Pelliciotti. Il est dédié aux musiques d’avant-garde et plus particulièrement à la Great Black Music, donc au free jazz. Il jouera un rôle important pour la pérennité de cette forme musicale, particulièrement pour les musiciens de l’AACM de Chicago qui verront quelques portes ainsi s’ouvrir en Europe, d’autres suivront : Horo, Hat hut, Circle... Il fallait pour lancer le label quelques musiciens éprouvés ayant déjà une bonne notoriété, capables de générer une dynamique positive. Le premier enregistrement sera signé Billy Harper avec l’album « Black Saint » et pour le second, Giacomo fera appel à la mémoire vivante du jazz en la personne d’Archie Shepp. Pour la petite histoire, A sea of faces sera l’un des très rares albums du label à bénéficier d’une superbe pochette « gatefold » d’un coût de fabrication plus élevé, mais quand on aime...


Cet album est le point de départ d’une longue aventure pour Black Saint mais aussi une sorte de point d’aboutissement pour Archie Shepp. Au sens propre, à travers la fin d’une longue tournée qui l’a mené à travers la France et l’Italie, mais aussi dans son art: divers enregistrements, et particulièrement celui-ci, témoignent de la mutation de la musique en une maturation effectuée par étapes successives.


Archie Shepp est resté tout au long de sa vie un homme politiquement engagé auprès de la minorité Afro Américaine, cet engagement est également artistique et il n’a eu de cesse de se plonger dans les racines les plus profondes de sa culture en mettant en valeur l’originalité de cet héritage, que ce soit au travers du blues, du gospel, du jazz ou du rythm’n blues. Nul, plus que lui, ne sera le défenseur de la tradition, avec systématisme il actualise ou réinterprète l’histoire de sa musique, en en offrant une vision moderne. Cette exploration sonore il l'effectue aussi loin qu'il le peut, depuis les origines.


Hipnosis qui étend ses vingt-six minutes sur toute la première face est un morceau de Grachan Moncur III. Archie Shepp se lance dans une longue chevauchée qui n’est pas sans rappeler les flamboyances du passé, on pense aux albums Magic of Juju, Life At The Donaueschingen Music Festival, Black gipsy ou Coral Rock… Shepp se lance dans un très long solo propulsé par une rythmique compacte et répétitive, Dave Burrell au piano développe des variations sur une suite d’accords maintes fois rejoués, martelant le rythme en intégrant ici ou là quelques improvisations circulaires qui reviennent avec entêtement vers thème du départ. Beaver Harris, Bunny Foy et Cameron Brown assurent le foisonnement rythmique indispensable à la bonne tenue de l’ensemble. Le solo de Shepp n’a plus qu’à s’envoler, explorant les possibles sans toutefois trop s’arrêter dans le cri, comme si, dans cette démesure le « raisonnable » avait maintenant sa place. Peut-être un signe des temps, mais la sonorité si belle et inimitable est toujours présente, lui conférant indiscutablement le statut mérité d'être l’un des meilleurs ténors de cette fin de siècle. Charles Grenlee au trombone prend le relai de Shepp et n’est pas en reste, son solo est vraiment passionnant, le son cuivré se fond admirablement dans l’univers de Shepp. Dave Burrell qui se démène depuis le début dans son rôle répétitif, au risque de créer une certaine lassitude, abandonne à la basse sa fonction rythmique et développe un assez court solo qui intervient comme une pause en autorisant une certaine respiration, mais la tension revient très vite avec le retour d’Archie Shepp qui nous plonge à nouveau dans cet univers oppressant et même obsessionnel.


La face deux s’ouvre avec Song for Mozambique, dans un premier temps chanté par Bunny Foy, un peu à la façon d’un blues. Puis Archie Shepp dit le poème A sea of Faces : « Joue de ce banjo/garçon noir/c’est le son de la musique/qui fait ton âme/bondir/de joie/Uhuru ! » accompagné en background par la douce voix féminine qui tisse un écrin sur lequel la voix grave dépose les mots avec profondeur. Certainement un des moments forts de cet album.


I Know About the Life est une superbe ballade toute en retenue et délicatesse chantée par Bunny Foy accompagnée, par Shepp au piano. Sur Lookin' for Someone to Love de son ami cal Massey, Archie reprend son saxophone ténor et délivre un solo fiévreux sur un rythme enlevé, terminant cet album sous le signe de la tradition…


Encore un magnifique album de la part d’un très grand musicien.

xeres
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le 15 sept. 2016

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