Plus ça va, plus j'ai tendance à écouter les albums pour leurs pochettes et à ignorer les sorties triple A. Parfois, la musique n'est pas à la hauteur de l’œuvre d'art (le dernier Vassafor m'a assez déçu par exemple) et parfois, je tombe sur une perle rare. « We Are the Parasite, We Are the Cancer » de The King Is Blind en est une.


Je dois le confesser, en plus de la pochette, j'ai un autre péché mignon. Quand, dans l'intro d'un morceau, une voix susurre le nom du morceau ou de l'album avant que le riff ne déchire le silence, je couine de bonheur. Le meilleur exemple est sans doute « You Will Never Be One of Us » de Nails, rien que d'y penser, j'ai des frissons. C'est une technique qui fonctionne même dans les morceaux non-metal, j'en tiens pour preuve le merveilleux « Ladies & Gentlemen We Are Floating in Space » de Spiritualized. « Patriarch », le morceau introductif de cet album reproduit le même procédé.


Et quitte à prolonger l'instant confessions, je l'avoue, dès qu'un groupe se présente comme « post-xx », mon palpitant s'affole. Et alors que je commence à être rodé en post-rock, post-metal et autres post-hardcore, que le post-modernisme et la post-vérité occupent mes moments de réflexion, le « post-grind » que propose le groupe anglais qui nous intéresse aujourd'hui m'était totalement inconnu. C'est donc avec un espoir sincère et une dévotion complète que je me lance dans l'écoute de ce deuxième album de The King Is Blind.


Après l'écoute, il est temps de séparer le grain de l’ivraie. Cet album relève-t-il vraiment du post-grind ? Pas vraiment. On est plutôt sur du death protéiforme et innovant. Ni vraiment progressif ni vraiment techdeath, il s'agit juste d'une curiosité de metal extrême qui s'affranchit des frontières et des codes d'un style sclérosé par tant de sous-genres.


On y trouve du tremolo picking, des breaks death moderne, des accès de rage grind, une rugosité thrash sans rien de superflu. Les breaks sont courts, les riffs équilibrés et le résultat final est certifié 100% sans baratin.


Le morceau « Like Gods Departed » illustre bien mon propos avec son intro très proche d'un morceau de sludge atmo qui permet à l'album de respirer, de se renouveler et de proposer une œuvre vivante, en mouvement, après deux pistes à fond les marrons. Lui succède un riff que nombre de groupes de doom n'auraient pas renié avant de progresser vers un riff death old-school floridien qui me rappelle Death période Leprosy.
Un constat s'impose : c'est brillant, chaque idée de composition est pertinente et se mêle parfaitement à la précédente.


Après, l'album ne s'enferme pas non plus dans une logique prog et/ou un élitisme manifeste. Il lui arrive de proposer des plans death/grind bien bourrins qui se contentent de parler à nos plus bas instincts. Sur certains morceaux, j'ai même pensé à King Parrot, c'est dire la bassesse de certains riffs.


Mais participer au jeu des influences est stérile et ne saurait mettre en valeur le mérite et le talent des Anglais. Il convient alors de résumer : le groupe refuse de s'en tenir à un genre ou à une approche et propose un syncrétisme musical étonnamment cohérent.


Refrains scandés en mid tempo, breaks qui raclent la gorge, ponts mélodiques : ils osent tout et touchent juste à chaque tentative. Ces éléments pourtant, s'ils sont pris séparément, n'ont rien de particulièrement original (à l'instar du thème éculé de l'album : les 7 péchés capitaux) mais ils sont si subtilement ajoutés à la préparation qu'il est difficile de bouder son plaisir.


Toutefois, certains morceaux souffrent de la créativité des autres et deviennent moins marquants comme c'est le cas avec « Mantra XIII » qui invite pourtant le grand Karl Willetts, chanteur historique de Bolt Thrower. C'est malheureusement le risque avec les albums courageux.


Après une alternance magistrale entre pistes plus intimistes, introspectives et véritables morceaux de bravoure, fédérateurs en diable, l'album se clôt magistralement par un titre qui le résume bien : une intro ritualiste, un riff désinvolte à mandales et des artères bouchées par des avalanches de distorsion.


Je brûle d'aborder un dernier point : les breaks intelligents.


Ça peut paraître un peu antinomique dans la mesure où lorsqu'on évoque un breakdown notre esprit se dirige la plupart du temps vers Pantera ou Providence et leurs breaks bineuronaux délicieux. Et pourtant, Black Breath ou Ulsect ont su ces dernières années nous démontrer qu'un break peut être aussi malin qu'il est dévastateur.


The King Is Blind l'a bien compris et saupoudre son opus de breaks tout aussi nerveux les uns que les autres (« As Vermin Swarm », « Idolatry of Self », « The Sky Is a Mirror » et le meilleur, sur « Godfrost »). C'est typiquement le genre de breaks qui fait hocher la tête en rythme, les sourcils froncés et la bouche en cul de poule (j'espère ne pas être le seul à faire ça, sinon essayez, je vous jure que ça amplifie le pouvoir cathartique du break).


En somme, cet album a la particularité d'être généreux et ce n'est pas un adjectif que j'emploie à la légère. Je trouve que bien trop d'albums de metal extrême ces temps-ci perdent ce côté direct et enthousiaste au profit d'une musique hermétique qui, en dépit de toutes les qualités techniques, a tendance à me laisser de marbre. Et The King Is Blind revient à cette fougue qui me manquait tant.


Et puis finir sur « The Burden of Their Scars », furieusement rock'n'roll, paveton de distorsion balancé à 130km/h sur une route en plein cagnard, ça n'a pas de prix.


« We Are the Parasite, We Are the Cancer » n'est pas juste un album intéressant, il est pour moi un album de metal extrême majeur pour 2017. Il m'évoque une pluie de cendres : acide, implacable et dévastatrice.
Et croyez-moi, tout roi que vous soyez, vous seriez bien aveugles de ne pas apprécier les larges qualités de cet opus.


Raton
8
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le 24 déc. 2017

Critique lue 151 fois

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Raton

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