“Le musicien noir est un reflet du peuple noir en tant que phénomène culturel et social. Son but doit être de libérer, sur le plan esthétique et sur le plan social, l’Amérique de son inhumanité. L’inhumanité de l’Américain blanc pour l’Américain noir n’est pas fondamentale en Amérique, elle peut être exorcisée.» Archie Shepp.


Après ses démêlées avec les maisons de disques Archie Shepp a réussi à retourner chez Impulse où il a gravé parmi les plus remarquables pages de sa discographie. Ici l’artiste est respecté et les moyens lui sont donnés. Les studios Van Gelder sont restés mythiques dans l’histoire du jazz, par la qualité exceptionnelle du son enregistré. Things have got to change ne faillira pas à la règle.
« Les choses doivent changer !» Archie Shepp a toujours été un militant, défenseur de la lutte des droits pour les noirs Américains, bien sûr, mais aussi un homme engagé sur un plan littéraire. Il a écrit une pièce qui s’appelait « the communist », ce qui, au pays de l’oncle Sam, était alors très subversif et pouvait présenter, même, un risque personnel. En cette période Miles Davis est très populaire, il devient très influent dans le petit monde du jazz, et Shepp lui-même, l’homme si élégant, va se soumettre à cette mode et porter des tuniques Indiennes, cette influence se déclinera également sur sa musique : Pour Archie, le retour sur lui-même passera par le mode identitaire, retour au blues et aux racines !


« Things have got to change » est le premier volet de cette douce mutation. La première face est composée d’une suite en trois parties nommée Money Blues. A l’écoute il est difficile de distinguer les moments où l’on glisse d’une partie à l’autre, tant le titre est dense et prenant. Ici il est question de musique « soul » et même de Gospel, pas question de religion, mais plutôt de colère et de redistribution des richesses, on retrouve l’engagement de Shepp pour la lutte pour les droits civiques et l’égalité raciale.


La forme traditionnelle est là, on se figure très bien être au milieu d’une procession comme il en existait en Afrique. Joe Lee Wilson dans le canal droit répond à un chœur féminin formé d’une chorale gospel. Comme il se doit, pas moins de quatre percussionnistes s’unissent aux battements de Beaver Harris aux drums. Miles est passé : la basse est électrique et sonne très funky, le Rhodes aussi, entre les doigts experts de Dave Burrell. On l’imagine, le rythme est simple, mais foisonnant et même orgiaque. La section des cuivres ne se complique pas inutilement la tache, c’est simple et brillant, les riffs des cuivres pulsent et enfièvrent la marche, le piccolo strident étonne, le solo d’Archie décoiffe et met le feu. Joe Lee Wilson répète à l’envie « Give me my money » d’une voix de baryton très soul et chaude, donnant une force extraordinaire au morceau. C’est vraiment là une très belle façon de faire revivre les débuts du jazz, une plongée dans l’histoire, dans la communion et la transe, ces moments sont tout simplement exceptionnelles.


Dr King the Peaceful Warrior est un hommage à Martin Luther King. Le morceau est joué par un duo composé d’Archie Shepp au ténor et de Cal Massey au piano électrique. Jolie ballade toute en émotion contenue. Things have got to Change est la seconde suite de cet album. Elle s’inscrit dans la même ligne que Money Blues mais le souffle épique est peut-être moins affirmé, c’est peut-être du à l’absence de Joe Lee Wilson … Le violon de Leroy Jenkins accompagné de quelques sons électroniques est porté par la masse rythmique du grand ensemble qui introduit de fort belle façon la pièce, elle conserve ce côté « acoustique», grâce à l’arrivée d’un solo de flûte qui équilibre l’arrivée des chœurs. Ceux-ci sont très rythmiques, répétant le même motif avec assez peu de variations, se fondant dans l’accompagnement percussif de la musique. Archie Shepp ne démérite pas tout au long d’un solo tout à fait prenant, au soprano.
Cet album est vraiment excellent, il marque un retour aux racines tout en intégrant des instruments électriques et électroniques.

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le 5 mars 2017

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