L'architecte du son Talking Heads enfin démasqué ?!

Quand on évoque le nom de famille Harrison, on pensera sûrement d'abord à George, le fameux ex-Beatles. Pourtant, un autre Harrison a fait entrer ce nom de famille dans la postérité musicale, quoiqu'il soit toujours oublié ou très sous estimé. Jerry Harrison, de son petit nom, donc, est surtout connu (et reconnu) pour être le claviériste de génie du groupe new-yorkais Talking Heads. Aussi, son rôle dans le groupe est très souvent éclipsé par le leader charismatique et un peu fou David Byrne, ainsi que par la section rythmique composée de Tina Weymouth et de Chris Frantz (qui ont pour side project l'assez bien connu Tom Tom Club). Pourtant le rôle de Jerry Harrison dans un tel groupe est très important, en témoigne son premier LP solo intitulé The Red and the Black.


En 1981, les Talking Heads sont en break. Ils viennent de triompher partout dans le monde avec leur sublime album Remain In Light, sorte de mélange d'afrobeat, de funk, de punk et de rock progressif. Aidé par le "magicien" Brian Eno pour la production, cet album de 1980 se veut comme l'une des pièces maitresses de la new wave. Après une tournée phénoménale, David Byrne décide de mettre le groupe en pause sous prétexte de vouloir commencer une carrière solo, qu'il a par ailleurs déjà entamée en cosignant le magistral My Life In The Bush Of Ghosts toujours avec Brian Eno. Chris et Tina s'en vont donc aux Bahamas pondre leur Tom Tom Club. Jerry se retrouve seul, au milieu de tout ce bazar, et décide lui aussi de ne pas en rester là. Ses efforts sont concrétisés dans l'écriture et la composition d'un très tortueux premier album solo. En écoutant The Red and The Black dans son ensemble, on se rend compte l'importance d'Harrison dans le son Talking Heads. Les morceaux, aux influences funk très marquées sont constitués d'une multitude de strates, de couches musicales construites d'un ensemble de percussions, d'arrangement superposés divers de synthétiseur et d'arpèges répétitifs de guitare. Tout ce qui constitue en fait le génie de l'album Remain In Light du groupe dans son intégralité. Mais qui, dés lors, pouvait s'en douter ?


Harrison est aidé dans la production de son album par un nombre important de musiciens divers tels que le génial Adrian Belew (guitariste et chanteur de King Crimson à partir de 1981), le clavier funky Bernie "Woo" Worell (ex clavier de Parliament-Funkadelic), le joyeux percussionniste Steve Scales ou encore le célèbre batteur de session new-yorkais, le feu Yogi Horton. Une sorte de super groupe assemblé pour la conception de cet opus solo, constitué en majeure partie de transfuges du groupe "étendu" que formait Talking Heads lors de la tournée 1980, le cœur du groupe étant amélioré de six musiciens supplémentaires. Cet album est donc le chainon manquant entre Remain In Light et Speaking In Tongues. Les morceaux passent du rock progressif poly-rythmique (avec des sons typiques King Crimson de la même période, merci Belew) tels que "Things Fall Apart", "The New Advenure" ou encore "No More Reruns" jusqu'aux grooves du funk profond et sombre à la fois de "Magic Hymnie". On ressent toute la fureur de Harrison dans "Worlds In Colision", un morceau tortueux et ténébreux, sorte de fusion entre la musique de Joy Division et celle de George Clinton dans lequel on retrouve même des samples d'Hitler...


Au milieu de tout ça, on trouve également des choses plus pop comme "Slink" (qui sera joué par Talking Heads pendant la tournée de 1982) ou encore "No Questions/Fast Karma" qui évoque une version "brouillon" du futur hit "Burning Down The House". Le morceau qui ressort le plus de l'album serait "The Red Nights", une parenthèse quasi ambient qui évoque la face B de l'album Remain In Light, faisant échos aux sublimes "Listening Wind" ou "The Overload". L'album se termine sur les synthés de "No Warning, No Alarm", morceau puissant et dark qui termine brillamment ce premier album solo de Jerry Harrison.


Au final, The Red and The Black nous en apprends bien plus que prévu. D'abord, qu'il ne faut pas sous estimer le génie créatif de Jerry Harrison, en solo tout comme en tant que membre de Talking Heads. Ensuite, que l'album constitue une étape décisive dans l'évolution sonore du célèbre quartet new-yorkais. Avec leurs "récréations", chaque membre du groupe fait évoluer le son vers de nouveaux horizons. Le successeur de la discographie du groupe, Speaking In Tongues sera un parti pris de mélanger une influence P-Funk avec quelque chose de beaucoup plus abordable et résolument pop. L'influence de Tom Tom Club sur ce prochain album n'en sera qu'en fait que plus dominante... En attendant, Harrison nous prouve avec cet album solo ci présent qu'il n'est pas en reste et constitue a lui seul une bonne partie du son Talking Heads. Plus tard dans la même décennie, Harrison se réessaiera à l'exercice de l'album solo, et ce à deux reprises : d'abord avec Casual Gods en 1988, puis avec Walk On Water en 1990. Ces deux derniers albums n'ont cependant rien a voir avec The Red and The Black et sont bien plus pop (et dispensable, surtout celui de 1990).


Je terminerai en recommandant cet album aux amateur de Talking Heads (surtout ceux qui ont aimé Remain In Light) mais je mets en garde les "néophytes" car cet album est un "grower". Même en temps que fan du groupe matrice, j'ai eu beaucoup de mal a entrer et à parcourir cet album dans son intégralité. Un album a écouter donc après Remain In Light, My Life In The Bush Of Ghosts et après le premier album éponyme de Tom Tom Club.

Blank_Frank
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Side Projects : Talking Heads, 1981 : année de convergence musicale et Best Of : Adrian Belew

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le 27 mai 2016

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