Hormis par quelques fans enragés, devenus aveugles et sourds à force de se palucher sur les œuvres géniâââââââles de leur maître à jouir, et quelques découvreurs tardifs du travail de l'artiste pour qui 1976 c'est la préhistoire, Téo & Téa est très largement considéré comme le pire album de Jean-Michel Jarre. Plus rigolo : l'artiste lui-même est d'accord sur ce triste constat, comme il le révèle depuis quelque temps (et notamment dans son excellente autobiographie Mélancolique Rodéo).
C'est dire si la chose est mauvaise. Je vais donc essayer de ne pas trop m'appesantir.


Qu'y a-t-il à sauver dans Téo & Téa ? La production. Le son est énorme, d'une propreté éblouissante. La moindre basse, le plus petit effet sonore prennent des proportions dantesques et se taillent tous leur juste place durant l'écoute. Avec le temps, Jarre est devenu un véritable maître en la matière, un artisan animé d'une saine exigence, et ce n'est pas sur ce point qu'il se reniera. Bon, c'est déjà ça.
Quoi d'autre ?
Un morceau : "Vintage". Classique jarrien, pas du meilleur tonneau, mais honnête, efficace, nerveux et dansant. Il survient en fin d'album, quand tout espoir semble perdu, criant de sa petite voix que si, vous verrez, un jour le monsieur reviendra en forme, soyez patients et gardez confiance.


Et puis c'est tout.
Téo & Téa, c'est de la musique pour dance-floor bâclée par un homme qui voudrait bien rester accroché à son époque mais qui n'y arrive pas. C'est de la mélasse assistée par ordinateur, du plug-in à gogo, des étirements sans queue ni tête de séquences et de basses sur un accord, de boîtes à rythme impersonnelles. C'est deux (mauvais) morceaux composés à quatre mains avec le méritant Francis Rimbert, "Partners In Crime", dont on se demande pourquoi en faire deux puisque ce sont les mêmes.
Ce sont encore des morceaux ridicules, conglomérats de pouët-pouët pathétiques, qui auraient été dignes de figurer sur Deserted Palace. Salut, "Chatterbox" et "Gossip", vous m'avez bien fait ricaner.
Et c'est également un interminable solo mal joué avec un son de guitare saturé à vomir, sur une pourtant belle suite d'accords, hélas répétés durant 3'51 ad lib jusqu'à la nausée dans l'effroyable "Melancholic Rodeo".


C'est aussi un concept dégueulasse : raconter une histoire d'amour virtuelle à l'heure du tout-numérique. La passion de Téo pour Téa et inversement, qu'un clip ridicule, à peine digne d'un épisode de Code Lyoko, met en scène de manière risible.
Du coup, puisqu'on cause d'amour on cause de cul : c'est aussi Anne Parillaud qui simule un orgasme sur "Beautiful Agony" (qui aurait pu être un bon morceau, d'ailleurs, avec plus de soin dans l'orchestration et sans ces gémissements pathétiques.) Après l'entrejambe d'Isabelle Adjani en couverture de Geometry of Love, ça commence à faire beaucoup.
Lisons entre les lignes : l'ami Jean-Mimi a le membre qui le démange. Le démon de midi, la crise de la cinquantaine qui le frappe alors qu'il frôle la fin de la dite décennie. C'est parfois triste, un artiste qui peine à vieillir.


Voilà, Téo & Téa, c'est un album à fuir, à oublier, à enterrer dans le bush australien en espérant que le feu reprenne. C'est la dégringolade d'un artiste se mentant à lui-même, perdu dans d'épaisses ténèbres, cherchant à tenir en laisse le fantôme d'une jeunesse qu'il a laissé filer depuis longtemps.
Un musicien qu'on aurait pu condamner à perpétuité s'il n'avait pas, cette même année 2007, effectué un retour triomphal sur scène, en jouant en intégralité l'album Oxygène, entouré de ses meilleurs synthés analogiques, dans une mise en scène sobre, uniquement préoccupé de musique et de rien d'autre. Sans ce spectacle magnifique, que j'ai eu la chance de voir au théâtre Marigny (un soir où toute sa famille était présente dans la salle, moment émouvant), j'aurais peut-être dire adieu à Jean-Michel Jarre.
Comme quoi, même quand tout est sombre et effrayant, il ne faut jamais désespérer.

ElliottSyndrome
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le 21 févr. 2020

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