Super-Sonic Jazz est le premier album paru sur le label El Saturn Records, en 1957. Ce fameux label créé par Sun Ra et son bras droit, ami et partenaire : Alton Abraham. Celui-ci avait plus d’un point commun avec Sun Ra, ils partageaient le même goût pour le mysticisme et l’ésotérisme. Alton Abraham était connu à Chicago pour faire des prédictions et s’intéresser aux livres saints et aux textes occultes, à La Cabale et à Nostradamus. Cette proximité d’intérêt explique leur amitié et leur engagement mutuel dans la création d’El Saturn qui fut l’un des premiers labels indépendants à voir le jour. Le tirage de ce premier album a d'ailleurs été extrêmement limité. Une réédition en 2009 assure aujourd’hui sa disponibilité et sa bonne diffusion. Ce ne sont pas, bien entendu, les premiers enregistrements de Sun Ra, mais très probablement c’est bien là le premier 33 tours enregistré sous son nom.


Cet album n’est donc évidemment pas un album de free-jazz et d’avant-garde, il se caractérise plutôt par un certain classicisme tourné vers le hard bop, en révélant ici ou là un penchant envers ce mouvement de la fin des années 50 qu'on appela « l’exotica ». L’exotisme ici, ce ne sont pas les guitares des îles Hawaïenne ni les charmes de la musique indienne, mais, quand on s'appelle "Sun Ra" il faut faire montre d'ambition et se tourner vers ce qui est grand: l’espace et son infini. D'ailleurs au verso de la pochette on peut lire un poème de Sun Ra appelé : Points on the Space Age, il y parle de ses deux centres d’intérêts principaux, la musique et la cosmologie.


On reconnaît sur cet album ce qui fait la forme du jazz conventionnel au sein d’un big band : le swing et l’académisme des arrangements. D’après certains spécialistes, c’est sur ce disque qu’on entendrait pour la première fois l’enregistrement d’un piano électrique sur un enregistrement de Jazz (cf. India).


Quelques thèmes de cet album seront réutilisés sur des enregistrements ultérieurs. Medicine For A Nightmare sur Angels and demons at play, El Is A Sound Of Joy sur Sound of Joy et Blues At Midnight sur Jazz in Silhouette.


India se situe dans la lignée de cette musique exotique, le piano de Sun Ra esquisse un thème simple sur lequel Art Hoyle à la trompette dépose un très beau solo, la musique est propre à évoquer l’Orient, comme l’indique le titre. On remarque déjà le goût de la part de Sun Ra pour les percussions, elles foisonnent et fourmillent. Cet apport sera constant au fil des décennies, marquant profondément une forte empreinte sur son style musical .Au sein de l’Arkestra tout membre est d'emblée aussi percussionniste.


Sur Sunology, Pat Patrick puis John Gilmore nous offrent deux solos dans la tradition, baryton et ténor se lovent au rythme paresseux de cette douce ballade bluesy. Advice To Medics consiste en un solo du maître, sur ce fameux piano électrique, aérien et solaire, qui sera la marque de la modernité du grand céleste.


Super Blonde (Bronze Super sur une réédition impulse !) évoque simplement l’histoire d’une…super Blonde, comme indiqué sur la pochette ! C’est le premier morceau qui sonne à la façon d’un big band traditionnel, rythme enlevé, succession de solos des cuivres ou des anches…Soft Talk ferme la face dans la même veine…


Kingdom Of Not nous peint un royaume traversé par un magnifique solo de John Gilmore, sur un tempo assez vif et enjoué. Portrait Of The Living Sky est, lui, dévolu à la rythmique sur lequel Sun Ra dépose quelques grappes de notes au piano…Blues At Midnight donne brillamment à John Gilmore et à Art Hoyle l’occasion de démontrer leur technicité et leur feeling en solo, en nous replongeant dans le cadre d’un band hard-bop en vogue alors. El Is A Sound Of Joy se pâme avec une certaine lenteur puis évolue avec espièglerie vers un air rythmé, dansant et mutin, Pat Patrick à l’alto dialogue joliment avec Sun Ra.


Springtime in Chicago évoque une Amérique de carte postale, variété sucrée et nonchalance, il ne manque que Julie London…Medicine for a nightmare clôt l’album sur un tempo rapide qui permet aux solistes de s’exprimer avec vivacité, Sun Ra et son piano électrique, Pat Patrick au baryton et Julian Priester au trombone.


Cet album sonne de temps en temps comme un combo de jazz et parfois comme un véritable big band. Il ne contient rien qui le rende indispensable, si ce n’est son rôle historique évoqué plus haut. Il possède sa part de belles pièces, celles à tendance exotiques me semblent les mieux réussies. Enregistré et conçu en 1956, il est également le premier effort sur Saturn el Records, c’est un bon album sur lequel on perçoit l’excellence des musiciens ainsi qu’un premier pas vers cet ailleurs qui ne cessera de hanter notre mage.

xeres
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le 1 mars 2016

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