Avec l’album de Michel Puig la série « Actuel » fraie avec un genre nouveau, la musique contemporaine. Cet album est tout à fait à part et fait figure de mouton noir au beau milieu du troupeau free, il aura d’ailleurs un accueil surprenant, ni critiqué, ni descendu, tout simplement ignoré. Alors pourquoi cette sortie si étonnante ? Ce risque commercial? Pour comprendre il faut se plonger dans l’époque, en 1969 les évènements et la révolte étudiante de l’année précédente sont toujours dans les têtes et la remise en cause de la société reste d’actualité, la guerre du Viêt-Nam mobilise encore et le militantisme fait feu de tous bois. Or, Stigmates est une œuvre engagée contre la torture, dont le cadre historique se situe pendant la guerre d’Algérie, elle fait tout naturellement écho aux idées libertaires qui nourrissent les pensées de la jeunesse d’alors.


C’est une œuvre contemporaine dirigée par le chef René Leïbowitz, entièrement écrite, d’un abord qui pourra sembler froid à l’amateur de jazz. Le thème lui- même est glaçant, la torture et les marques qu’elle laisse, ces stigmates qui s’inscrivent de façon indélébiles dans l’épiderme de notre société…


L’œuvre se déroule à la façon d’un opéra, narrant une histoire dont l’écriture est précise et détaillée, quasi chirurgicale, rien ne sera épargné à l’auditeur qui est plongé dans l’horreur et l’indicible. Nous voilà projetés dans une atmosphère inquiétante, environnés de dissonances, de tambours martiaux, de sifflets stridents, des cris… Un homme est arrêté !


C’est l’entrée dans un monde sombre et carcéral, dans un tunnel sans lumière dans lequel nous voilà plongés. L’auditeur est témoin, et même sujet, de la violence qui s’abat avec une cruelle froideur, voire un certain détachement : « Ne rien dire, rien... rien… combien de temps encore, non Rien…[cris] pas, pas…»


Rien ici n’est fait pour plaire ou séduire, les accords sont dramatiques, les sons strient le silence, le décomposent, le hachent menu, ça grince, ça frappe, ça cogne, ça couine. Dans un premier temps, tout est à l’impératif, les ordres, les insultes ! « Sale race, tu vas cracher ! » Puis on glisse vers l’interrogatif « Alors on ne sait pas où se cache notre ami Moss ? » Puis arrive le temps des exclamations, des cris, de la souffrance !


Il est bien que cet album ait un statut « à part » qui souligne son originalité, mais il ne mérite pas l’indifférence dans laquelle il baigne depuis sa première parution.

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le 8 mars 2017

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